La garde à vue française est (partiellement) inconstitutionnelle
Elle était attendue mais ce n’est pas vraiment une surprise. Dans sa décision du 30 juillet 2010, le Conseil Constitutionnel décide que "Les articles 62, 63, 63-1 et 77 du code de procédure pénale et les alinéas 1er à 6 de son article 63-4 sont contraires à la Constitution."
Rappelons brièvement les termes du débat. Depuis des mois, le cadre juridique français applicable aux gardes à vue est contesté. Dans un premier temps, c’est la conformité entre notre droit et la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme (CESDH) qui a été discutée. La Cour EDH s’est exprimée à plusieurs reprises sur le sujet, nous y reviendrons. Ensuite, avec la possibilité offerte aux citoyens de contester la conformité à la constitution d’une règle qui leur est appliquée, c’est le Conseil Constitutionnel qui a été saisi et qui vient de rendre la décision précitée. A chaque fois l’argumentaire critique est le même : le droit d’accès du gardé à vue à un avocat est exagérément limité (entretien de 30 minutes au début de la première journée, 30 minutes au début de la seconde, sans accès de l’avocat au dossier) et cela n’est pas conforme aux valeurs fondamentales, françaises ou européennes. Commençons par le Conseil Constitutionnel, puis nous reviendrons à la CEDH.
Le Conseil Constitutionnel relève d’abord que "la proportion des procédures soumises à l’instruction préparatoire n’a cessé de diminuer et représente moins de 3 % des jugements et ordonnances rendus sur l’action publique en matière correctionnelle ; que, postérieurement à la loi du 24 août 1993, la pratique du traitement dit « en temps réel » des procédures pénales a été généralisée ; que cette pratique conduit à ce que la décision du ministère public sur l’action publique est prise sur le rapport de l’officier de police judiciaire avant qu’il soit mis fin à la garde à vue ; que, si ces nouvelles modalités de mise en œuvre de l’action publique ont permis une réponse pénale plus rapide et plus diversifiée conformément à l’objectif de bonne administration de la justice, il n’en résulte pas moins que, même dans des procédures portant sur des faits complexes ou particulièrement graves, une personne est désormais le plus souvent jugée sur la base des seuls éléments de preuve rassemblés avant l’expiration de sa garde à vue, en particulier sur les aveux qu’elle a pu faire pendant celle-ci ; que la garde à vue est ainsi souvent devenue la phase principale de constitution du dossier de la procédure en vue du jugement de la personne mise en cause".
Il ajoute ensuite que "dans sa rédaction résultant des lois du 28 juillet 1978 et 18 novembre 1985 susvisées, l’article 16 du code de procédure pénale fixait une liste restreinte de personnes ayant la qualité d’officier de police judiciaire, seules habilitées à décider du placement d’une personne en garde à vue ; que cet article a été modifié par l’article 2 de la loi du 1er février 1994, l’article 53 de la loi du 8 février 1995, l’article 20 de la loi du 22 juillet 1996, la loi du 18 novembre 1998, l’article 8 de la loi du 18 mars 2003 et l’article 16 de la loi du 23 janvier 2006 susvisées ; que ces modifications ont conduit à une réduction des exigences conditionnant l’attribution de la qualité d’officier de police judiciaire aux fonctionnaires de la police nationale et aux militaires de la gendarmerie nationale ; que, entre 1993 et 2009, le nombre de ces fonctionnaires civils et militaires ayant la qualité d’officier de police judiciaire est passé de 25 000 à 53 000" et considère que "ces évolutions ont contribué à banaliser le recours à la garde à vue, y compris pour des infractions mineures ; qu’elles ont renforcé l’importance de la phase d’enquête policière dans la constitution des éléments sur le fondement desquels une personne mise en cause est jugée ; que plus de 790 000 mesures de garde à vue ont été décidées en 2009". Il considère que "la garde à vue demeure une mesure de contrainte nécessaire à certaines opérations de police judiciaire ; que, toutefois, ces évolutions doivent être accompagnées des garanties appropriées encadrant le recours à la garde à vue ainsi que son déroulement et assurant la protection des droits de la défense", que "en vertu des articles 63 et 77 du code de procédure pénale, toute personne suspectée d’avoir commis une infraction peut être placée en garde à vue par un officier de police judiciaire pendant une durée de vingt-quatre heures quelle que soit la gravité des faits qui motivent une telle mesure ; que toute garde à vue peut faire l’objet d’une prolongation de vingt-quatre heures sans que cette faculté soit réservée à des infractions présentant une certaine gravité", que "les dispositions combinées des articles 62 et 63 du même code autorisent l’interrogatoire d’une personne gardée à vue ; que son article 63-4 ne permet pas à la personne ainsi interrogée, alors qu’elle est retenue contre sa volonté, de bénéficier de l’assistance effective d’un avocat ; qu’une telle restriction aux droits de la défense est imposée de façon générale sans considération des circonstances particulières susceptibles de la justifier pour rassembler ou conserver les preuves ou assurer la protection des personnes ; qu’au demeurant, la personne gardée à vue ne reçoit pas la notification de son droit de garder le silence".
Et il en conclut que "dans ces conditions, les articles 62, 63, 63 1, 63-4, alinéas 1er à 6, et 77 du code de procédure pénale n’instituent pas les garanties appropriées à l’utilisation qui est faite de la garde à vue compte tenu des évolutions précédemment rappelées ; qu’ainsi, la conciliation entre, d’une part, la prévention des atteintes à l’ordre public et la recherche des auteurs d’infractions et, d’autre part, l’exercice des libertés constitutionnellement garanties ne peut plus être regardée comme équilibrée ; que, par suite, ces dispositions méconnaissent les articles 9 et 16 de la Déclaration de 1789 et doivent être déclarées contraires à la Constitution".
Par ailleurs, le Conseil précise que "il y a lieu, dès lors, de reporter au 1er juillet 2011 la date de cette abrogation afin de permettre au législateur de remédier à cette inconstitutionnalité ; que les mesures prises avant cette date en application des dispositions déclarées contraires à la Constitution ne peuvent être contestées sur le fondement de cette inconstitutionnalité".
Ce que l’on constate à la lecture de sa décision, c’est que le Conseil Constitutionnel ne précise pas ce que devront être les futures règles de la garde à vue. Il ne trace que quelques grandes lignes, notamment en soulignant que pose difficulté l’impossibilité pour l’avocat d’assister le gardé à vue pendant son interrogatoire, et que ce dernier doit être informé de son droit de garder le silence. Le débat reste donc ouvert. Et entre les souhaits de ceux qui veulent une très large présence de l’avocat, et les syndicats de policiers qui déjà prétendent que la réforme à venir va réduire l’efficacité des investigations, il semble y avoir de la marge. C’est pourquoi il est important de reformuler la problématique, ce qui est la raison d’être essentielle de cet article. Le débat est en effet trop important pour se lancer sans repères dans une discussion qui peut être infinie. Et ces repères, on les trouve dans les décisions de la CEDH.
La Cour européenne a déjà précisé que "le droit de tout accusé à être effectivement défendu par un avocat, au besoin commis d’office, figure parmi les éléments fondamentaux du procès équitable", que "les preuves obtenues durant (l’enquête) déterminent le cadre dans lequel l’infraction imputée sera examinée au procès", ajoutant, et c’est essentiel, que "un accusé se trouve souvent dans une situation particulièrement vulnérable à ce stade de la procédure, effet qui se trouve amplifié par le fait que la législation en matière de procédure pénale tend à devenir de plus en plus complexe, notamment en ce qui concerne les règles régissant la collecte et l’utilisation des preuves". Elle a surtout indiqué que "L’équité d’une procédure pénale requiert d’une manière générale, aux fins de l’article 6 de la Convention, que le suspect jouisse de la possibilité de se faire assister par un avocat dès le moment de son placement en garde à vue ou en détention provisoire. Ainsi, un accusé doit, dès qu’il est privé de liberté, pouvoir bénéficier de l’assistance d’un avocat et cela indépendamment des interrogatoires qu’il subit. En effet, l’équité de la procédure requiert que l’accusé puisse obtenir toute la vaste gamme d’interventions qui sont propres au conseil. A cet égard, la discussion de l’affaire, l’organisation de la défense, la recherche des preuves favorables à l’accusé, la préparation des interrogatoires, le soutien de l’accusé en détresse et le contrôle des conditions de détention sont des éléments fondamentaux de la défense que l’avocat doit librement exercer." Cela signifie, en clair, qu’un gardé à vue, parce qu’il est dans une situation de faiblesse par rapport aux enquêteurs, doit pouvoir bénéficier de l’assistance d’un avocat dans toutes ses composantes, à chaque fois qu’il l’estime nécessaire. Et cela suppose, par hypothèse, l’accès de l’avocat aux investigations réalisées et aux pièces du dossier.
C’est pourquoi la question qui va dorénavant se poser est la suivante : Puisque, a priori, un avocat doit pouvoir être présent auprès d’un gardé à vue chaque fois que ce dernier le souhaite, quelles sont les raisons, si elles existent, qui sont susceptibles de justifier une limitation du moment ou du périmètre de l’intervention de l’avocat. Partir d’un droit maximal et rechercher les motifs de le réduire est une démarche plus conforme à la jurisprudence de la CEDH que partir d’un droit minimal et se demander dans quelle mesure il doit être élargi. Or, jusqu’à ce jour, ceux qui contestent les critiques formulées contre la garde à vue, et notamment les syndicats de policiers, n’ont pas une seule fois proposé d’argumentaire s’appuyant sur des exemples tirés de la réalité quotidienne de terrain et démontrant en quoi la présence d’un avocat pourrait exagérément faire obstacle au bon déroulement des investigations et à l’élucidation de certaines affaires. Cela peut sans doute être le cas dans certaines circonstances. Mais une fois laissées de côté les affirmations péremptoires des uns et des autres, ne peuvent convaincre que les démonstrations fondées sur le concret et non sur des pétitions de principe. Si de telles démonstrations convaincantes existent, on les attend toujours. En tous cas, il est essentiel que les débats à venir s’éloignent du bruit et de l’agitation actuels et se concentrent sur ce qu’est la garde à vue, sur son déroulement pratique, sur les incidences concrètes de la présence et de l’absence d’avocat, afin qu’une fois élaborées les règles à venir ne fassent pas, de nouveau, l’objet d’un même débat à propos de leur conformité avec les principes fondamentaux rappelés plus haut.
Une dernière remarque à propos de la décision du Conseil Constitutionnel s’impose. Après avoir dit les règles françaises non conformes à la constitution, le Conseil a donné une année au gouvernement et au Parlement pour rédiger, voter et publier une nouvelle loi. Mais cela signifie que jusqu’à l’entrée en vigueur des nouveaux articles du code de procédure pénale, les gardes à vue vont se poursuivre selon des modalités dont on sait dorénavant qu’elles violent les droits fondamentaux des intéressés. Et cela sans que les gardés à vue puissent invoquer cette non-conformité à la constitution devant les juridictions pénales qui peuvent seulement ignorer un texte quand son application viole un droit reconnu par la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme. Bref, continuer délibérément à appliquer les textes en vigueur relatifs à la garde à vue revient à dire que l’on se maintient volontairement dans l’irrégularité. Cela est pour le moins troublant. De toute façon, cela ne va en rien limiter les débats en cours devant les tribunaux sur la conformité des règles de la garde à vue avec la convention européenne des droits de l’homme, d’autant plus que l’on sait aujourd’hui que la réponse est négative. Résumons. Dans les douze mois qui viennent, aucune sanction possible des gardes à vue du fait de la non-conformité des règles qui les concernent avec la constitution, même si cette non-conformité est avérée, mais, sur la même période, les mêmes textes pourront être écartés s’ils sont jugés non conformes à la convention européenne des droits de l’homme. Certaines juridictions ont déjà statué en ce sens, d’autres en sens contraire. Le parcours d’obstacle n’est pas terminé...