Mesdames, Messieurs,
« Plus le châtiment sera prompt, plus il suivra de près le crime qu’il punit, plus il sera juste et utile » [1]. Cette idée, affirmée il y a deux siècles et demi par Cesare Beccaria, a malheureusement été longtemps ignorée par le droit pénal français, qui privilégiait la sévérité de la sanction encourue à l’effectivité de la sanction prononcée.
Pendant longtemps, l’exécution des décisions de la justice pénale a été la grande oubliée de la chaîne pénale. Au cours des deux dernières décennies, l’attention du Gouvernement, du Parlement, des magistrats, des pénalistes, de l’opinion, s’est concentrée sur l’instruction, la diversification des modes de poursuite et des sanctions encourues ou encore l’amélioration des droits des victimes, mais l’exécution des peines est longtemps restée à l’écart des préoccupations. Tout se passait comme si l’ensemble des acteurs intéressés par le droit pénal et la procédure pénale considérait que, une fois les poursuites engagées, l’affaire jugée et la peine prononcée, la paix civile était rétablie et la justice pénale avait achevé son intervention.
Ce désintérêt pour l’exécution des sanctions a abouti à une situation absurde, qualifiée par les représentants de syndicats de magistrats de « justice virtuelle » [2] ou « justice fictive » [3]. Les services de police et de gendarmerie mettaient en œuvre des moyens importants pour élucider des infractions, la justice poursuivait, jugeait, condamnait, mais la question de savoir si la décision prononcée était exécutée et, si elle était exécutée, quand et comment elle l’était, était laissée de côté.
Ainsi, le taux de recouvrement de l’ensemble des amendes prononcées par ordonnance pénale ou par jugement correctionnel n’est-il aujourd’hui que de 50 %. La moitié des amendes prononcées par les juridictions n’est donc pas recouvrée. Certes, le taux global de recouvrement des amendes a progressé au cours des dernières années et s’établit désormais à 76 %, grâce aux progrès réalisés entre 2003 et 2007 en matière d’amendes forfaitaires majorées issues des contrôles automatiques de vitesse et grâce à l’augmentation des paiements volontaires qu’ont permis la mise en place des bureaux de l’exécution des peines (BEX) et la création de la réduction de 20 % en cas de paiement volontaire dans le mois suivant la condamnation. En revanche, le taux de recouvrement contentieux, qui a chuté de treize points en 10 ans, passant de 44,4 % en 1995 à 31,6 % en 2004 [4], ne peut être considéré que comme très insuffisant.
Pour les peines d’emprisonnement, les outils statistiques actuellement disponibles ne permettent pas de recueillir des informations fiables pour l’ensemble des peines prononcées au plan national. Néanmoins, on peut indiquer que, selon les informations fournies à votre rapporteur, 78,3 % des peines d’emprisonnement ferme prononcées en 2004 par les sept juridictions franciliennes [5], avaient été exécutées à la date du 1er septembre 2007. Pour les peines de travail d’intérêt général (TIG), 89,9 % des peines prononcées en 2004 ont été exécutées [6]. Une peine d’emprisonnement sur cinq et un TIG sur dix ne sont donc pas exécutés près de trois ans après leur prononcé.
Les délais de mise à exécution des peines ont, eux aussi, atteint une durée excessive, qui, dans les cas extrêmes, peut faire perdre tout sens à la mise à exécution de la sanction : en 2004, le délai moyen de mise à exécution d’une peine d’emprisonnement ferme était de 7,2 mois, celui du travail d’intérêt général de 4,9 mois ; le délai moyen de recouvrement des amendes pénales était, quant à lui, de 6,2 mois.
Cette situation d’inexécution ou de retard dans l’exécution d’une large proportion des peines prononcées a contribué à décrédibiliser durablement l’action de la justice. Les services de police et de gendarmerie ont pu avoir le sentiment que leur travail n’aboutissait pas à des sanctions effectives. L’opinion et les victimes d’infractions, voyant que l’auteur d’une infraction était condamné mais que sa peine n’était pas exécutée, ont pu douter de l’efficacité de la justice. Les auteurs d’infractions eux-mêmes ont pu ressentir, dans nombre de cas, ce qu’il est devenu commun de nommer le « sentiment d’impunité ».
Mais la question de l’exécution des peines n’est pas uniquement quantitative, elle est aussi qualitative. En effet, il n’est pas seulement souhaitable et nécessaire que les peines soient effectivement et rapidement mises à exécution, il est aussi indispensable qu’elles le soient dans des conditions leur permettant d’atteindre leur double but de protection de la société et de réinsertion de la personne condamnée. Or, si avant une période très récente les conditions d’exécution des peines privatives de liberté n’intéressaient que ponctuellement les autorités politiques et l’opinion [7], que dire de l’absence quasiment totale d’intérêt montré à l’égard des peines exécutées en milieu ouvert ? Les conditions d’exécution des TIG ou des peines d’emprisonnement assorties d’un sursis avec mise à l’épreuve (SME), bien que très fréquemment prononcées et présentées comme de bonnes mesures, ne donnaient lieu à aucune évaluation.
Ce n’est que récemment que la question de l’exécution des décisions de la justice pénale est réellement devenue une préoccupation des différents acteurs de la chaîne pénale. Le rapport de M. Jean-Luc Warsmann sur les peines alternatives à la détention, les modalités d’exécution des courtes peines, la préparation des détenus à la sortie de prison, remis le 28 avril 2003 au garde des Sceaux, a enfin permis de placer cette question sur le devant de la scène, en mettant à jour la situation catastrophique de l’exécution des peines et en proposant des mesures concrètes d’ordre législatif, réglementaire ou pratique pour améliorer les taux et les délais de mise à exécution des peines ainsi qu’une politique ambitieuse de développement des aménagements de peine [8].
L’essentiel des préconisations formulées dans ce rapport a été mis en œuvre par la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité et par ses décrets d’application, mais aussi par des évolutions organisationnelles au sein des juridictions. Les réformes mises en œuvre ont permis d’améliorer de façon significative l’exécution de certaines peines. La création des bureaux de l’exécution des peines (BEX), couplée à la réduction de 20 % du montant de l’amende en cas de paiement volontaire dans le délai d’un mois suivant la décision [9], a permis d’accroître de façon très encourageante - bien que, pour l’instant, de façon imparfaitement mesurable - les taux de recouvrement des amendes. L’obligation pour les juridictions de délivrer à l’issue de l’audience une convocation devant le juge de l’application des peines (JAP) en cas de condamnation à une peine d’emprisonnement inférieure ou égale à un an ou une convocation devant le service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP) dans un délai compris entre 10 et 30 jours [10] a permis de développer les aménagements de peine et d’améliorer les délais de mise à exécution des mesures de suivi en milieu ouvert.
Néanmoins, l’exécution des peines peut et doit encore être améliorée. La chaîne pénale connaît encore des ruptures qui nuisent à l’exécution des décisions de la justice pénale. C’est dans le but d’identifier ces ruptures et de proposer des solutions pour les réduire que la commission des Lois de l’Assemblée nationale a décidé, le 26 juillet 2007, de créer une mission d’information sur l’exécution des décisions de justice pénale. Cette question de l’exécution des décisions se posant de manière certes aussi aiguë mais dans des termes différents pour la justice des majeurs et pour la justice des mineurs, la commission a décidé que cette mission donnerait lieu à des travaux et déplacements communs, mais avec des orientations propres à chaque problématique, et à deux rapports distincts, celui sur la justice des mineurs étant confié à Mme Michèle Tabarot et celui sur la justice des majeurs étant confié à M. Étienne Blanc.
La mission d’information a réalisé en trois mois, du 30 août au 29 novembre 2007 :
- 25 auditions ;
- 10 déplacements dans des tribunaux de grande instance (TGI), au cours desquels elle a généralement rencontré les chefs de juridiction, les magistrats du parquet chargés de l’exécution des peines, les JAP et les représentants des SPIP d’une part, et les magistrats du parquet chargés des mineurs, les juges des enfants et les représentants de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) d’autre part ;
- 6 déplacements dans des établissements relevant de l’Administration pénitentiaire, dont un établissement pénitentiaire pour mineurs, et un déplacement dans un établissement de placement de mineurs ;
- un déplacement au service du casier judiciaire national à Nantes.
La mission a également étudié avec le plus grand intérêt les contributions des magistrats de liaison sur l’exécution des décisions de justice pénale dans le pays dans lequel ils sont en fonction ; ces contributions très approfondies lui ont fourni des éléments d’information appréciés et utiles, qui ont largement nourri sa réflexion.
Ce travail intense, riche d’enseignements sur le fonctionnement de notre justice et sur la qualité de ses personnels, a permis aux membres de la mission de constater que des progrès substantiels avaient été accomplis depuis trois ans en matière d’exécution des décisions de justice pénale, mais que le chemin était encore long avant que la situation de l’exécution des décisions puisse être considérée comme satisfaisante.
Dans le domaine de la justice des majeurs, les points de rupture dans la chaîne pénale, entendue au sens le plus large, de l’engagement des poursuites à l’exécution de la décision, sont nombreux. Pour ne donner que quelques exemples, il y a rupture lorsqu’une décision contradictoire à signifier ne peut, faute de signification à personne, devenir définitive et être mise à exécution. Il y a rupture lorsqu’un jugement n’est pas dactylographié et enregistré avant plusieurs semaines ou plusieurs mois. Il y a rupture lorsque le condamné ne peut se présenter au BEX, celui-ci n’étant pas accessible pour l’audience au cours de laquelle il a été condamné, ou lorsque le condamné ne peut pas s’acquitter de la peine d’amende à laquelle il a été condamné au BEX. Il y a rupture lorsque le début d’exécution d’une mesure de SME ou de TIG est différé de façon excessive, ou lorsqu’un aménagement de peine décidé par le JAP ne peut être mis en place faute de place disponible.
La mission d’information sur l’exécution des décisions de justice pénale s’est attachée, tout au long de ses travaux, à identifier ces points de rupture et à rechercher des solutions concrètes pour les supprimer ou les réduire. Ces points de rupture existent dès le stade de l’audience, notamment lorsque le jugement rendu en l’absence du prévenu est contradictoire à signifier : ces ruptures devraient être réduites en favorisant la présence des prévenus à l’audience et en améliorant l’efficacité de la signification des décisions (Chapitre 2). Ces points de rupture existent aussi même lorsque le jugement est contradictoire, en raison du défaut de fluidité de la chaîne pénale : donner une réelle efficacité à la chaîne pénale doit, dès lors, être un objectif prioritaire pour améliorer l’exécution des décisions de justice pénale (Chapitre 3). Ces points de rupture se manifestent encore au stade de la mise à exécution et de l’exécution des décisions de la justice pénale, qu’il convient d’améliorer (Chapitre 4). Enfin, des points de rupture entravent le développement des aménagements de peine et des peines alternatives à l’emprisonnement, qui doit constituer une priorité pour la justice et l’Administration pénitentiaire (Chapitre 5).
Mais au préalable, avant même d’évoquer ces points de rupture dans la chaîne pénale, il apparaît indispensable de corriger l’indifférence qu’a toujours connue l’exécution des décisions de justice pénale, au détriment de l’intérêt de la société, des victimes et de la crédibilité de la justice, en reconnaissant enfin l’importance particulière de l’exécution des décisions de justice pénale (Chapitre 1er).
L’objectif commun à toutes les propositions formulées par la mission d’information est de faire en sorte que, à l’issue de la présente législature, l’exécution des décisions de justice pénale ne soit plus en France un problème mais une réalité pour 100 % des décisions.