Sur les 68 253 personnes détenues au 1er septembre 2016, si on enlève les 728 mineurs, les étrangers, et les personnes déchues de leurs droits civiques, il reste quelques 50 000 électeurs potentiels derrière les barreaux. Et pourtant, à l’élection présidentielle de 2012, seuls 1980 d’entre eux avaient voté soit moins de 4%, dont 82% par procuration et 18% par permission de sortir. Le constat était également le même cinq ans plus tôt, avec seulement 3% de la population carcérale inscrite sur les listes électorales.
Arriver à se défaire des vieilles idées reçues
Aujourd’hui encore, comme beaucoup, les prisonnier.e.s pensent qu’une condamnation pénale, quelle qu’elle soit, a pour conséquence la perte des droits civiques, et notamment du droit de vote. Or, depuis 1994 et le nouveau code pénal, cette déchéance n’est plus automatique.
Avant 1994, une condamnation pour crime, une condamnation à une peine d’emprisonnement supérieure à un mois prononcée avec sursis pour certains délits comme le vol, l’attentat aux mœurs ou l’escroquerie et une condamnation à plus de trois mois d’emprisonnement sans sursis ou à plus de six mois avec sursis entraînaient automatiquement la privation des droits civiques, civils, de famille et commerciaux, de manière perpétuelle (Articles 8, 9, 28, 34 et 42 de l’ancien code pénal). Pour ceux-là, la publication du nouveau code pénal n’a pas eu d’effet rétroactif, et qu’ils soient sortis ou encore en prison, en libération conditionnelle ou ayant exécuté leur peine, ils sont toujours déchus de leur droit de vote, sauf à avoir sollicité et obtenu le relèvement de la déchéance. La France a donc ouvertement et sans remords, créer une discrimination entre les personnes condamnées, celles qui l’ont été après 1994 et les autres, qu’elle a volontairement laissées de côté.
Désormais, la privation des droits civiques, civils et de famille n’est plus automatique. Elle demeure toutefois une faculté, une peine complémentaire qui se doit d’être prononcée lors du jugement et dont la portée est définie par l’article 131-26 du code pénal.
Lorsqu’elle est prononcée, elle n’est par ailleurs que temporaire et ne peut durer au maximum que 5 ans en cas de délit, et 10 ans en cas de crime, étant précisé d’une part que les délais ne courent qu’à compter du jour où la sanction est devenue définitive (extinction des voies de recours) et d’autre part, que si la sanction s’accompagne d’une peine privative de liberté sans sursis, la privation des droits civiques s’applique dès le commencement de cette peine mais son exécution se poursuit, pour la durée fixée par la décision de condamnation, à compter du jour de sortie de prison.
La question du droit de vote des personnes incarcérées : un débat international
Aussi, une privation des droits civiques automatique et perpétuelle pour les personnes incarcérées, telle qu’elle existait en 1994, serait aujourd’hui considérée par la Cour Européenne des Droits de l’Homme comme une violation de l’article 3 du protocole n°1 de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des libertés fondamentales. C’est ce qu’a précisé la Cour dans son arrêt Hirst n°2 c/ Royaume-Uni du 6 octobre 2005 (n°74025/01) expliquant que « Pareille restriction générale, automatique et indifférenciée à un droit consacré par la Convention et revêtant une importance cruciale outrepasse une marge d’appréciation acceptable, aussi large soit-elle, et est incompatible avec l’article 3 du Protocole no 1. »
En dépit de cette condamnation, et malgré le fait que la Cour lui ait implicitement indiqué la marche à suivre afin de se mettre en conformité avec la Convention en reconnaissant que le système italien ne méconnaissait pas l’article précité, le Royaume-Uni, refusant de changer sa législation, s’est à nouveau vu condamné par la Cour en 2010 puis encore en 2014 dans l’arrêt Firth, en 2015 et plus récemment par un arrêt du 30 juin 2016.
La Cour Européenne a en effet posé plusieurs critères afin de considérer une privation du droit de vote des personnes détenues comme compatible avec la Convention. Une telle privation doit faire l’objet d’une décision prise par un juge en tenant compte des circonstances particulières de l’espèce, et il doit y avoir un lien entre l’infraction commise et les questions relatives aux élections et aux institutions démocratiques. Ces critères visent à faire de la privation du droit de vote une exception, même pour les détenus condamnés.
Outre le Royaume-Uni ; l’Autriche, la Turquie, la Russie ou encore la Bulgarie sont autant d’États à s’être également vus condamnés par la Cour Européenne sur ce point, arguant notamment de leur volonté de maintenir l’effectivité de la procédure électorale de leur pays.
Cet argument, également utilisé en France afin de ne pas installer de bureaux de vote dans les prisons, semble pourtant fallacieux, car pour que le vote des personnes détenues ait un réel impact, encore faut-il qu’elles puissent réellement avoir accès aux urnes, et là, rien n’est moins sûr.
Comment voter en prison
Si la France ne fait donc pas partie des États condamnés par la Cour Européenne, offrant en théorie, la possibilité de voter aux personnes incarcérées n’ayant pas été condamnées à la peine complémentaire les privant de ce droit ; dans la pratique, les choses ne sont pas aussi simples.
En effet, pour les personnes emprisonnées, l’exercice du droit de vote peut s’apparenter à un véritable parcours du combattant. Pour celles et ceux qui auront réussi, malgré les affichages tardifs et le manque d’informations, à s’inscrire sur les listes électorales avant le 31 décembre, reste à savoir comment voter le jour J.
Depuis 2007, il est possible pour certains d’obtenir une permission de sortir spécialement pour aller voter, toutefois, conformément aux dispositions de l’article D.143-4 du Code de procédure pénale, cette possibilité n’est offerte qu’aux condamnés à une peine d’emprisonnement n’excédant pas 5 ans, ou bien à ceux condamnés à une peine privative de liberté supérieure à 5 ans mais ayant déjà effectué au moins la moitié de leur peine. Pour les personnes détenues ne répondant pas à ces critères, pour aller voter en personne, ne reste plus que la permission de sortir sous escorte, prévue par l’article D. 147 du même code, mais force est de constater que si la totalité des prisonnier.e.s en faisait la demande, on manquerait alors cruellement de personnel pénitentiaire pour y faire droit !
La plupart des votants derrière les murs, le feront donc par procuration, mais là encore, ce qui à l’extérieur ne prendrait que quelques minutes, va en prison nécessiter bien plus d’organisation. Une fois la personne de confiance, votant dans la même ville, choisie, encore faut-il remplir et faire signer par un agent compétent ladite procuration. De nos jours, la plupart des citoyens choisiront de compléter le modèle Cerfa disponible en ligne puis de l’imprimer, afin qu’ils n’aient plus qu’à faire signer le document au commissariat le plus proche de chez eux. La personne détenue, n’a elle, en dépit des nombreuses recommandations effectuées en ce sens par le Contrôleur Général des Lieux de Privation de Liberté, pas accès à internet afin de faciliter ces démarches, et ne pouvant aller au commissariat, c’est l’agent de police qui devra venir à elle, en détention.
Alors que l’Allemagne, l’Italie ou encore le Japon permettent un vote par correspondance, que les Américains permettent un vote étalé sur plusieurs semaines et que l’astronaute Shane Kimbrough a même pu exercer son droit de vote depuis l’espace, la France elle, ne peut que déplorer son retard dans ce domaine, elle qui ne permet même pas la tenue de débats politiques et citoyens en prison.
Pour la mise en place de bureaux de vote dans les prisons
La solution pour permettre une réelle effectivité du droit de vote des personnes privées de liberté serait d’installer des bureaux de vote dans les établissements pénitentiaires. En juillet 2012, les sénateurs Jean-René Lecerf (UMP) et Nicole Borvo Cohen-Seat (PCF) en faisaient même une recommandation dans leur rapport sur l’application de la loi pénitentiaire de 2009. En 2014, l’association Robin des lois avait quant à elle, effectué un recours préalable auprès du Ministre de l’Intérieur et de la Garde des sceaux, estimant l’article R. 40 du code électoral illégal en ce qu’il ne permettait pas aux personnes détenues d’exercer leur droit de vote. Ainsi l’association demandait à ce que cette disposition du Code électoral intègre la présence des établissements pénitentiaires dans les circonscriptions électorales, afin que des bureaux de vote y soient mis en place.
Deux ans plus tard, rien n’a changé.
Or, pour améliorer le quotidien des personnes détenues, il ne suffit pas de veiller à ce qu’elles bénéficient de meilleures conditions de vie matérielles, en construisant de nouvelles cellules individuelles et en dératisant les anciennes. L’amélioration de leur vie en détention, ça passe aussi, par un travail à l’extérieur des murs.
Il est temps d’appliquer enfin la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 qui veut que la loi soit l’expression de la volonté générale et que TOUS les citoyens concourent à sa formation.
Ban Public exige que la France installe des bureaux de vote dans chaque établissement pénitentiaire de son territoire et rende ce droit effectif.