ADSP n° 44 septembre 2003
Geneviève Guérin
Secrétaire général adjoint du Haut Comité de la santé publique
La population carcérale À 95 % masculine, la population incarcérée est largement issue des classes populaires. Son état de santé général est bon pour 77 % des entrants. Certaines pathologies (sida, hépatites, diabète...) nécessitent des traitements durant la période d’emprisonnement. Près de la moitié des détenus présentent un trouble psychiatrique.
La population carcérale est formée de prévenus (personnes détenues qui n’ont pas encore été jugées ou dont la condamnation n’est pas définitive) et de condamnés (personnes détenues en vertu d’une condamnation judiciaire définitive).
Au 1er avril 2003, 59 155 personnes étaient détenues dans les prisons françaises de métropole et d’outre-mer, pour une capacité d’accueil de 48 603 places. Ce chiffre est comparable à celui de la population carcérale en 1996, année au cours de laquelle la mise en place du dispositif prévu par la réforme de 1994 a été achevée.
Le nombre de personnes détenues avait ensuite régulièrement
baissé, avant d’augmenter à nouveau à partir d’octobre 2001.
En termes de mouvements, 64 730 entrées et 63 132 sorties ont été enregistrées en 2001. La durée moyenne d’incarcération est passée de 6,9 mois en 1994 à 8,7 mois en 2003.
Les prévenus représentent en moyenne 38 % de la population carcérale en 2003.
Selon leur catégorie pénale (prévenus ou condamnés) et selon la peine prononcée, les personnes détenues sont accueillies dans des établissements différents :
? Les maisons d’arrêt et quartiers de maisons d’arrêt reçoivent les prévenus ainsi que les condamnés dont le reliquat de peine est inférieur ou égal à un an.
? Les centres de détention accueillent les condamnés considérés comme présentant les meilleures perspectives de réinsertion. Ils comportent à ce titre un régime principalement orienté vers la resocialisation
des détenus.
? Les maisons centrales reçoivent les condamnés à de longues peines et considérés comme les plus difficiles. Leur régime de détention est essentiellement axé sur la sécurité.
? Les centres pénitentiaires sont des établissements mixtes qui comprennent au moins deux quartiers à régimes de détention différents (par exemple maison d’arrêt et centre de détention, maison centrale et centre de détention).
? Les centres de semi-liberté autonomes reçoivent les condamnés admis au régime de semi-liberté leur permettant de suivre un traitement médical ou d’exercer une activité (travail, enseignement) au terme de laquelle ils
sont astreints à rejoindre l’établissement pénitentiaire.
Le parc pénitentiaire comprend 186 établissements (dont 119 maisons d’arrêt) répartis en dix régions pénitentiaires, celles de Paris et Lille accueillant les effectifs les plus importants.
La densité carcérale varie considérablement selon le régime de détention de l’établissement : en avril 2003, le taux d’occupation moyen est de 121 %, mais il peut atteindre 200 à 250 % dans certaines maisons d’arrêt.
Dans le cadre d’un programme mis en place par les précédents gardes des Sceaux, six établissements d’une capacité totale de 4 000 places devraient être livrés d’ici à 2005. Cependant, aucune augmentation significative du nombre de places n’est à attendre car leur livraison s’accompagnera de la fermeture d’établissements vétustes. Par ailleurs, la loi d’orientation
et de programmation pour la justice du 9 septembre 2002 [1] prévoit un nouveau programme de construction qui comportera 11 000 places, dont 7 000 consacrées à l’augmentation du parc et 4 000 au remplacement de places obsolètes.
Un profil démographique et social très différent de celui de la population générale
La population incarcérée est masculine à plus de 95 % et bien qu’on observe un vieillissement depuis une vingtaine d’années, en raison notamment de l’allongement des peines et de l’augmentation de la population plus âgée des délinquants sexuels, elle reste une population jeune en comparaison de la population générale.
Ce sont les hommes âgés de 18 à 24 ans qui sont les plus susceptibles d’aller en prison [5]. À l’arrivée en détention, la proportion de cette classe d’âge est six fois plus élevée que dans la population générale (29 %
contre 4,9 %). Globalement, en France métropolitaine, le taux annuel d’entrée en prison s’élève à 1,5 pour 1 000 personnes âgées de 13 ans et plus. Il atteint 7,5 pour 1 000 hommes âgés de 18 à 24 ans et 5,2
pour 1 000 hommes âgés de 25 à 39 ans.
À l’arrivée en prison, 17,5 % des entrants disent ne pas avoir de protection sociale. Cette population non affiliée apparaît comme une population plutôt jeune, le plus souvent sans activité professionnelle, disposant de revenus faibles et comportant une forte proportion
d’étrangers. 5 % se déclarent sans abri, 10 % hébergés dans un domicile précaire.
En avril 2003, selon les statistiques de l’administration pénitentiaire, plus de 11 % des personnes détenues se déclarent illettrées.
L’allongement général des peines contribue de façon mécanique au vieillissement de la population pénale. Par ailleurs, la très forte augmentation des condamnations pour crimes ou délits sexuels concernait en 2000 près de la moitié des hommes détenus de plus de 50 ans, contre 21 % dix ans plus tôt [6].
L’histoire familiale des détenus
À l’occasion du recensement général de la population de 1999 et dans le cadre de l’étude de l’histoire familiale conduite sur un échantillon de 400000 personnes, l’Insee a pour la première fois réalisé une enquête
spécifique sur l’histoire familiale de 1 700 hommes adultes incarcérés en maisons d’arrêt ou centres de détention [7].
Les résultats montrent que les hommes des classes populaires sont fortement surreprésentés parmi les détenus. Ils ont en général fait des études plus courtes : plus du quart ont quitté l’école avant 16 ans, les trois quarts avant 18 ans. Un détenu sur sept n’a jamais exercé d’activité professionnelle et un sur deux est ou a été ouvrier, contre un sur trois dans l’ensemble de la population.
La profession des parents confirme la surreprésentation des classes de faible revenu : 47 % des pères et 31 % des mères sont ouvriers. Plus de la moitié (54 %) des mères sont inactives. La relation entre les détenus et leurs parents est fragile : un détenu sur sept est parti du domicile familial avant 15 ans, un sur deux avant 19 ans (soit trois ans de moins que pour l’ensemble des hommes), 80 % avant 21 ans.
Les hommes nés à l’étranger sont plus nombreux en prison que dans l’ensemble de la population, 24 % contre 13 %, mais il faut savoir que le séjour irrégulier en France est en soi un motif d’incarcération pour des
populations récemment immigrées.
Moins de la moitié des détenus déclarent vivre en couple, et 27 % vivent seuls après une rupture (contre 11 % de l’ensemble des hommes âgés de 20 à 49 ans).
Le risque de rupture est très important au moment de l’incarcération : il concerne 11 % des détenus qui vivaient alors en couple ; 20 % des unions sont rompues la première année, 25 % dans les deux ans, 36 % dans
les cinq ans.
Les détenus indigents
De nombreux détenus, on l’a vu, intègrent la prison en situation de précarité. Outre la perte des revenus du travail, la précarité en détention peut aussi résulter de la perte du soutien familial, de l’impossibilité de travailler dans certains établissements d’accueil, de la suppression de prestations perçues en milieu libre : le RMI (au-delà de 60 jours d’incarcération), les allocations chômage, l’allocation de solidarité spécifique. Pour les personnes dépendantes, l’attribution de l’allocation personnalisée à l’autonomie (APA) bute sur la notion de domicile ’ la
prison n’en est pas un.
Les détenus dont les ressources propres sont inférieures à 30 euros par mois reçoivent l’aide aux détenus indigents allouée par l’administration pénitentiaire selon les décisions arrêtées par la commission d’indigence
de l’établissement (45 euros mensuels maximum), à laquelle vient parfois s’ajouter la fourniture gratuite d’équipements habituellement en location : télévision et réfrigérateur (respectivement environ 15 et 10 euros
par mois).
En termes de prestations sanitaires, les dépassements pour les appareillages restent à la charge des personnes détenues. L’entrée en vigueur de la CMU complémentaire pour les plus démunis, en principe avant 2004, devrait contribuer à améliorer la situation.
Pour reprendre les termes du rapport du Sénat sur les conditions de détention dans les établissements pénitentiaires [8], « cette population arrive en situation d’échec : échec du système scolaire, échec du milieu familial, échec du système économique ».
Des risques accrus vis-à-vis de certaines pathologies ou déterminants de santé
Il n’existe pas d’enquête épidémiologique nationale sur l’état de santé de la population incarcérée, ni a fortiori sur celle des personnes qui sortent de détention. Cependant, l’enquête nationale sur la santé des personnes
qui entrent en prison menée en 1997 par la direction de la Recherche, des Études de l’Évaluation et des Statistiques (Drees) du ministère de la Santé,
de la Famille et des Personnes handicapées permet d’approcher l’état de santé de cette population [2].
Menée dans 135 établissements pénitentiaires sur une période de un à trois mois selon la taille de l’établissement, cette enquête a permis de collecter 8 728 fiches de recueil de données épidémiologiques sur les 10 171 entrants dans la période d’enquête, correspondant à un taux de couverture de 86 % [5].
L’état de santé général apprécié lors de l’examen clinique d’arrivée est jugé bon pour 77 % des entrants, franchement mauvais pour 1,6 %. Plus de la moitié des entrants ont besoin de soins dentaires, dont 2,6 % de
soins urgents.
Cependant, les traitements médicamenteux en cours déclarés à l’entrée font apparaître des maladies dont la prise en charge doit se poursuivre en prison. Hormis les problèmes de santé mentale, il s’agit le plus souvent
d’asthme (3,7 %), de maladies cardio-vasculaires (2,3 %) et d’épilepsies (1,3 %).
46 % des entrants disent avoir fait un test de dépistage du sida avant leur incarcération et 1,7 % être séropositifs, 38 % de ces derniers ayant un traitement en cours par antirétroviraux. Un entrant sur quatre dit avoir fait un test de dépistage de l’hépatite B, un sur cinq de l’hépatite C, les taux de séropositivité déclarés pour ces pathologies s’élevant respectivement à 2,3 % et 4,4 %. 14 % des personnes arrivant en prison déclarent avoir été vaccinées contre l’hépatite B, et 3,7 % des déclarés séropositifs pour l’hépatite C disent avoir un traitement en cours par interféron.
Pour le VIH, l’enquête de la Drees effectuée un jour donné en 1998 fait apparaître une baisse significative du taux de détenus infectés par le VIH et connus des services médicaux (5,79 % en 1990, 1,56 % en 1998).
Parmi les 866 personnes détenues atteintes par le VIH en juin 1998, 19,1 % étaient au stade du sida, 21,1 % présentaient une forme symptomatique de la maladie et 59 % une forme asymptomatique de l’infection.
Dans un rapport remis en 2000, la mission santé/ justice sur la réduction des risques de transmission du VIH et des hépatites virales en milieu carcéral, se fondant sur des travaux de l’Institut de veille sanitaire
(InVS), estime que la prévalence du VIH est trois fois supérieure et celle du VHC de quatre à cinq fois supérieure parmi la population détenue à celle constatée en milieu libre. Ces prévalences sont à mettre en relation
avec la forte proportion d’usagers de drogues par voie intraveineuse incarcérés [9].
S’agissant de la santé mentale, 8,8 % des entrants déclarent avoir été régulièrement suivis par un psychiatre, un psychologue ou un infirmier psychiatrique ou avoir été hospitalisés en psychiatrie dans les douze mois
précédant l’incarcération et, parmi eux, près de six sur dix ont un traitement en cours par psychotropes.
D’après une seconde enquête de la Drees effectuée en juin 2001 dans les SMPR auprès de 2 300 entrants, 55 % d’entre eux présentaient au moins un trouble psychiatrique (55 % de troubles anxieux, 54 % de troubles
addictifs, 42 % de troubles psychosomatiques) et 20 % avaient déjà été suivis par le secteur de psychiatrie [10].
Par ailleurs, la population carcérale est fortement touchée par les différentes formes d’addiction. Sur cinq personnes arrivant en prison, près de quatre fument et près d’une consomme quotidiennement plus de vingt
cigarettes.
La proportion de fumeurs est plus élevée avant 40 ans : environ quatre entrants sur cinq contre seulement deux sur trois entre 40 et 59 ans et un sur trois à partir de 60 ans.
Un tiers des entrants déclare une consommation excessive d’alcool, définie comme égale ou supérieure à cinq verres par jour ou égale ou supérieure à cinq verres consécutifs au moins une fois par mois.
32,2 % déclarent une consommation prolongée et régulière de drogues illicites au cours des douze mois précédant l’incarcération -’ en 1997, 20 % des condamnations sont liées aux infractions à la législation sur les stupéfiants. 12 % déclarent avoir utilisé une drogue par voie intraveineuse au moins une fois au cours de leur vie, 7 % recourir à un traitement de substitution (neuf fois sur dix par Subutex®).
17 % déclarent un traitement en cours par médicament psychotrope, le plus souvent par anxiolytiques ou hypnotiques.
28 % des entrants déclarent au moins deux consommations à risque cumulées, l’association la plus fréquente (13,5 %) concernant l’alcool et les drogues illicites. 30 % des consommateurs de drogues dures fument plus de vingt cigarettes par jour et 43 % ont une consommation excessive d’alcool.
Les mineurs, dont l’état général est jugé bon dans 95 % des cas, sont cependant eux aussi touchés par les consommations à risque : 79 % déclarent une consommation tabagique, et 6,7 % plus de 20 cigarettes par jour. 16 % déclarent avoir une consommation excessive d’alcool. 27 % ont eu recours aux drogues illicites de façon habituelle dans les douze mois précédant l’incarcération.
Pour 24 %, il s’agit de cannabis, mais près de 4,8 % disent avoir régulièrement utilisé de l’héroïne, de la morphine ou de l’opium, assez rarement (1,4 %) par voie intraveineuse. Enfin, 4,5 % des mineurs arrivant en détention suivent un traitement par psychotropes et 9,1 % déclarent avoir eu un suivi régulier ou une hospitalisation en psychiatrie au cours de l’année précédente.
D’après l’enquête HID-prisons, extension de l’enquête Handicaps Incapacités Dépendances réalisée par l’Insee en 1998 et 1999, plus de trois personnes détenues sur cinq déclarent être confrontées dans leur vie de chaque jour à des difficultés physiques, sensorielles, intellectuelles ou mentales liées à des problèmes de santé [11].
Une personne détenue sur deux souffre soit de troubles du comportement ou de l’orientation dans le temps et dans l’espace (39,4 % contre 13,2 % dans la population générale), soit de troubles sensoriels (17,3 % contre 5,7 %), soit d’au moins une incapacité, définie comme la difficulté ou l’impossibilité de réaliser des actes élémentaires comme s’habiller, se lever, parler, etc.
Une personne détenue sur dix déclare avoir besoin d’une aide humaine ou matérielle ; ce besoin n’est satisfait que dans un cas sur trois.
Les conditions de vie en détention sont elles-mêmes pathogènes
Dans des rapports récents, les commissions d’enquête de l’Assemblée nationale [12] et du Sénat [8] et l’Igas [6] ont rappelé ce que les professionnels de santé exerçant en prison ne cessent de dénoncer : les conditions d’accueil en détention constituent encore le plus souvent une atteinte fondamentale aux droits élémentaires des personnes incarcérées, et un obstacle majeur à l’implantation d’une démarche de santé publique.
En termes d’environnement physique, la vétusté et parfois l’insalubrité d’un nombre important d’établissements, l’exiguïté des cellules, les mauvaises conditions d’hygiène (trois douches hebdomadaires, des toilettes parfois isolées par un simple muret) sont autant de facteurs péjoratifs que la surpopulation vient aggraver par la promiscuité (à la maison d’arrêt de Nantes, par exemple, sept personnes cohabitent dans des cellules dont la surface ne dépasse pas 20 mètres carrés, et la septième doit dormir sur un matelas posé à même le sol).
Par ailleurs, la privation d’intimité, la déresponsabilisation de l’individu sur laquelle est construite l’organisation de la vie en prison, et la dépendance qu’elle génère, les violences envers les plus faibles que permet et exacerbe la promiscuité vont à l’encontre de l’objectif affiché par l’administration pénitentiaire de réinsérer les personnes détenues, et ont des effets délétères sur leur santé physique et mentale.
Elles favorisent notamment les comportements à risque : tabagisme, surconsommation médicamenteuse, prise de drogues illicites introduites en prison.
Elles conduisent parfois au suicide : le nombre de ceux-ci a considérablement augmenté au cours des vingt dernières années, passant de 39 en 1980 à 122 en 2002 (le point culminant étant de 138 suicides en 1996). Rapporté à l’effectif moyen de cette population, le taux de suicides est passé entre 1980 et 2002 de 10 à 22,8 pour 10 000. Le risque de passage à l’acte est particulièrement important dans les 48 heures qui suivent l’incarcération. Le quartier disciplinaire constitue également un lieu à haut risque. Contrairement à ce que l’on observe dans la population générale, le fait d’avoir une famille, son conjoint ou des enfants est un facteur de risque en détention : ce sont « ceux qui ont le plus à perdre » qui se suicident en prison [3].
Les équipes hospitalières qui prennent en charge cette population spécifique doivent donc disposer de savoir-faire particuliers pour mener à bien leurs missions.