Avant-propos
Comment peut-on, dans un contexte d’allongement des peines, maintenir le lien familial voire le reconstruire avec la personne incarcérée quand la famille et les proches sont confrontés à un éloignement temporel et spatial ? Cette question résurgente des conditions de déroulement des visites a fait l’objet de plusieurs travaux et de réflexion en France au sein du ministère de la Justice comme dans la société civile dont le plus abouti fut le rapport interne de l’administration pénitentiaire en 1995. Il préconisait l’organisation de visites intimes sans surveillance
pour les condamnés à de longues peines. Il s’inspirait de plusieurs expériences étrangères principalement canadiennes et hollandaises.
En 1998, le Garde de sceaux de l’époque faisait de l’amélioration
des conditions d’accueil des familles et du déroulement des visites une question majeure en matière d’insertion.
Il se prononçait alors pour la création expérimentale d’unités de visite familiale sur trois sites pilotes : le Centre Pénitentiaire pour femmes de
Rennes et les Maisons Centrales pour hommes de Saint Martin de Ré et de Poissy.
En 2000, le nouveau ministre de la Justice confirmait la mise en oeuvre du projet permettant aux personnes placées sous main de justice de recevoir pour un temps défini des membres de leur famille ou des proches dans des conditions matérielles respectant la discrétion et l’intimité des échanges dans des conditions suffisantes de sécurité.
C’est ainsi que les premières UVF ouvraient au CP de Rennes en 2003.
Forts de cette commande, les acteurs de terrain se sont emparés du projet
pour le décliner de manière opérationnelle. Le "comment-faire" prenait ainsi le dessus sur la légitimité de la question.
Cette question du "commentfaire" a permis de lever des non-dits pesant sur des sujets comme les parloirs sexuels. Elle amenait à traduire en terme de fonctionnement des problématiques telles que l’intimité du détenu, l’organisation des locaux et leurs fonctionnalités, le rôle des personnels de surveillance et la sécurité. Ce travail de conception a imposé de penser le détenu en tant que personne pouvant évoluer dans un espace d’intimité sans réduire le dispositif à une simple dimension sexuelle.
L’importance de la problématique familiale liée aux particularités de la population a pesé sur les choix d’organisation et d’aménagement
des espaces. Elle s’est nourrie d’une approche pluridisciplinaire au sein d’un groupe de travail comprenant des surveillants, des travailleurs sociaux, des psychologues ayant en charge le parcours d’exécution des peines et des partenaires associatifs.
L’architecture traduit le parti pris familial de la conception du projet. Elle s’écarte du caractère réducteur du cahier des charges initialement imposé par l’administration centrale pour s’adapter à la géométrie variable de la structure familiale.
Chaque appartement se compose d’une salle à manger avec cuisine, deux chambres, une salle d’eau, pour une surface totale de 50m². Les plans matérialisent la reconnaissance de la personne détenue dans la diversité relationnelle d’un foyer. Des espaces et des temps sont ainsi pensés pour être réservés à l’enfant, au conjoint, aux proches et à la vie commune.
Les UVF ont donc été conçues comme un acte d’insertion et de responsabilisation. La personne détenue joue un rôle actif dans la préparation et le déroulement de la visite. Les conditions matérielles du séjour lui incombent comme dans la vie civile.
Le volet sécuritaire du projet se devait d’intégrer cette dimension relationnelle et le respect de l’intimité.
A la différence des parloirs, il n’y a pas de surveillance directe. Celle-ci s’exerce sur la périphérie extérieure de l’appartement par vidéosurveillance et ronde régulière visant à s’assurer du bon déroulement des visites et de la sécurité des personnes. Toute intervention de personnel de surveillance est annoncée préalablement par interphone. Sauf incident, les agents ne sont pas autorisés à pénétrer dans l’unité.
Pour le personnel, il s’agissait d’une rupture par rapport à la culture professionnelle en vigueur. Le surveillant se voyait assigner une autre place, au point d’équilibre entre des conditions suffisantes de sécurité et le respect d’un espace de vie privée. Ce changement est au coeur de la problématique des ressources humaines développée sur le dispositif.
Le recrutement s’est effectué sur la capacité à gérer les relations humaines, le sens de l’organisation et du travail en équipe. Le volontariat en était la condition sine qua non. Le plan de formation ouvrait, dans le domaine de la politique du maintien des liens familiaux, sur l’approche psychologique et sociologique concernant les détenus et la connaissance des partenaires sociaux et judiciaires. Il visait également à donner des outils de travail et des savoirs-faire adaptés aux nouvelles missions ainsi qu’à pérenniser le travail pluridisciplinaire entre les différents professionnels appelés à intervenir dans les UVF. En parallèle était décliné un référentiel d’activités très détaillées permettant de préciser les tâches affectées au personnel au sein du dispositif expérimental et de construire une nouvelle identité professionnelle dans laquelle l’accompagnement des personnes est prépondérant.
En s’engageant dans l’expérimentation, l’institution prenait un risque : celui d’éclairer d’un faisceau de lumière des questions restées dans l’ombre en s’imposant de réfléchir à la façon dont pouvait se tisser à nouveau, au sein de l’institution carcérale, un lieu de désir et de reconstruction pour des détenu(e)s marqué(e)s par la rupture des liens familiaux. Les UVF, de ce point de vue, dessinent une architecture de l’intime marquant une rupture dans la conception traditionnelle des prisons construites sur le schéma panoptique d’une visibilité permanente du détenu.
Sylvie MANAUD-BENAZERAF
Directrice des Services Pénitentiaires
Adjointe au Directeur Régional des Services Pénitentiaires de Rennes