Je vous avais parlé il y a un peu plus d’un an de la terrible affaire Kamagaté. (http://www.prison.eu.org/spip.php?article13332) Elle a connu hier son épilogue, devant la 10e chambre du tribunal. Pascale Robert-Diard, chroniqueuse judiciaire au Monde, était présente et m’a très gentiment autorisé à reproduire ici sa chronique, publiée dans le numéro d’aujourd’hui, hélas jamais sorti en kiosque pour cause de grève. M. Kamagate n’a vraiment pas de chance.
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Condamné en 2008 pour une agression imaginaire, Vamara Kamagate est définitivement innocenté
Le tribunal correctionnel deParis a relaxé lundi 6 septembre le SDF
Le délibéré a duré cinq petites minutes. « Le tribunal vous relaxe, M.Kamagate », annonce le président Marc Bourragué. Vamara Kamagate reste figé à la barre. « Vous pouvez partir », ajoute doucement le président. Il est vingt-deux heures, lundi 6 septembre, et la 10e chambre du tribunal correctionnel de Paris vient de reconnaître que l’homme qui lui fait face, les bras ballants, noyé dans une veste de costume trop large pour lui, a été officiellement victime d’une erreur judiciaire.
« C’est un dossier un peu particulier… », avait prévenu le président en se saisissant de la dernière affaire de la journée. Deux ans et demi plus tôt, le 8 mars 2008, à l’étage situé juste en dessous de cette salle d’audience, Vamara Kamagate a été jugé en comparution immédiate et reconnu coupable d’agression sexuelle, violences et injures publiques.
Condamné à dix-huit mois ferme ainsi qu’à une interdiction du territoire français de trois ans, il avait été immédiatement incarcéré.La jeune femme, A.G.,qui l’accusait, absente de l’audience mais représentée par un avocat, avait reçu, à titre de provision pour son préjudice, 3000 euros.
A.G. avait 20 ans, un ami policier, une mère psychiatre et un père cadre supérieur. Un soir de février 2008, elle leur avait confié avoir été agressée boulevard Richard-Lenoir, dans le 11e arrondissement de Paris, par un homme de « 50-60 ans », de « type africain », d’une taille « d’environ 1,80m ». Il l’avait, disait-elle, saisie violemment par le cou, lui avait pincé les seins, avait mis sa main dans sa culotte sous son jean et lui avait frotté le sexe avant de la repousser en l’insultant. A.G.avait répété cela à la policière compatissante qui avait recueilli sa plainte. Deux semaines plus tard, sur photos, puis derrière une glace sans tain, on lui présentait Vamara Kamagate, un SDF africain qui avait été interpellé dans le quartier à l’occasion d’un contrôle d’identité et qui, disaient les policiers, « pouvait correspondre » à son agresseur.Il ne mesure pas 1,80m mais 1,70m, il n’a pas « entre 50 et 60ans », puisqu’il est âgé de 46 ans et il se contente de répéter dans un français approximatif qu’il n’est pour rien dans cette affaire. Mais un vendeur de moto du quartier affirme que c’est bien le SDF qui traînait souvent dans le coin et insultait les passants quand il était saoul et A.G. « pense le reconnaître » sans être toutefois formelle.
Tout va très vite. On désigne à Vamara Kamagate un avocat commis d’office : comparution, condamnation, détention, pas d’appel, affaire réglée.
« Pourquoi n’avez-vous pas fait appel ? », lui demande le président Marc Bourragué. Vamara Kamagate penche son visage vers le président du tribunal en clignant des yeux et lui fait répéter la question pour être sûr de la comprendre. « Je savais pas qu’on pouvait », répond-il.
Du dossier d’instruction, le président extrait alors une longue lettre que la jeune femme a adressée au procureur de la République en mai 2008, deux mois après la condamnation de Vamara Kamagate et dans laquelle elle dit avoir tout inventé. Elle y expose ses confidences à son ami policier, puis à ses parents, l’écoute immédiate qu’elle reçoit, la compréhension dont on l’entoure. « Tout ce que j’aurais voulu que l’on fasse pour moi des années plus tôt », écrit-elle.
Elle explique encore avoir été victime d’une agression, lorsqu’elle était âgée de 13 ans, par un ami de la famille. A l’époque, ses parents ne lui avaient pas donné le sentiment de prendre la juste mesure de sa souffrance, dit-elle.
Elle raconte la plainte, la présentation des photos au commissariat - « je me sentais obligée de désigner quelqu’un », – la procédure qui s’emballe – « personne n’entendait mes doutes » – puis la prise de conscience violente : « Je venais d’envoyer un pauvre type en prison. Je n’avais jamais pensé que la justice puisse condamner un homme sur mon seul témoignage. »
Alertée ensuite par la famille, Me Françoise Margo prend le dossier en charge. L’affaire remonte à la chancellerie, puisque seule la garde des sceaux – à l’époque Rachida Dati – peut lancer la révision d’une condamnation devenue définitive. Après six mois de détention, Vamara Kamagate est
remis en liberté, sans comprendre tout de suite ce qui lui arrive. Le 24juin 2009, la Cour de cassation annule son jugement et le renvoie devant le tribunal correctionnel.
Lundi 6septembre, Vamara Kamagate a écouté le procureur François Lecat expliquer qu’« il n’y avait,dans cette affaire,aucune raison d’entrer en voie de condamnation ». « Ce qui est terrible, au fond, c’est que cette procédure n’a pas été irrégulière. Enquête de routine, jugement de routine.Nous sommes face à une authentique erreur judiciaire. Je demande évidemment la relaxe du prévenu », a-t-il déclaré.
Reconnu définitivement innocent, dans le palais désert à cette heure avancée de la soirée,Vamara Kamagate a juste demandé à son avocate,Me Victoire Boccara, de l’aider à retrouver la porte de sortie.
Pascale Robert-Diard
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Commentaires personnels : Je me suis déplacé à l’audience, et ai eu l’honneur de serrer la main de M. Kamagate. Je n’ai pu assister à l’audience, qui a eu lieu fort tard. Ainsi, après avoir été injustement condamné et avoir passé six mois en prison à Fresnes, la Justice, pour le réhabiliter, n’a as trouvé mieux que le faire poireauter sept heures avant de statuer en catimini, la nuit tombée, dans un Palais désert. Tout un symbole. Hommage à Pascale Robert-Diard qui est restée jusqu’au bout.
Cette affaire est extraordinaire en ce qu’elle est terriblement ordinaire. C’est vraiment un dossier classique de comparution immédiate comme il s’en juge tous les jours. On devrait faire analyser cette affaire par les auditeurs de justice à l’ENM, plutôt que leur faire passer de ridicules tests de personnalité. Le témoignage de la victime, un certificat des Urgences Médico-Judiciaires qui donne 10 jours d’ITT, Ite, Missa Est. Le fait qu’il nie ? Aucune importance. Ils nient tous. Le fait que la description ne colle pas vraiment ? Aucune importance. Elle avait peur, elle a dû se tromper. Le fait que le récit des faits était incohérent (il aurait fallu que M. Kamagate eût trois mains pour faire ce que la victime prétendait qu’il avait fait). Aucune importance. Le traumatisme lui aura embrouillé l’esprit.
Mesdames et Messieurs les magistrats qui me lisez, combien de dossiers comme ça avez-vous vu passer, où vous avez requis ou prononcer une peine ferme sans que votre conviction ait à un moment vacillé ? Ah, la culture du doute. On nous l’avait promise. On a vite vu ce qu’il en était. D’autant que cette affaire a été jugée la première fois par un président de qualité, qui a beaucoup fait par la suite pour permettre cette révision.
Mais balayons devant notre porte. Cette affaire est aussi un terrible manquement de la défense. Je ne parle pas de mon excellente consœur Victoire Boccara, qui a assisté M. Kamagate lors de l’audience de renvoi après révision. Je parle de l’avocat qui a défendu, appelons-ça comme ça, M. Kamagate en première instance. Lui non plus, qui avait la mission d’être le plus critique à l’égard du dossier, sans se laisser arrêter par l’objectivité, n’a pas vu les incohérences, les failles, ou n’a pas crié assez fort pour que le bruit parvienne aux oreilles des magistrats ; et surtout, surtout, informé de la lettre de la victime (Edit : j’ai un doute sur ce point, je vérifie), il n’a pas pris la peine d’interjeter appel, ce qui aurait permis une rapide libération de son client.Nous sommes en charge de la défense de nos clients jusqu’à ce qu’ils nous en relèvent ou qu’ils nous remplacent. Notre assistance ne cesse pas le dernier mot de notre plaidoirie prononcée, mais continue jusqu’au délibéré (ce qui nous impose d’être là), jusqu’au conseil sur l’opportunité de faire appel, sur la déclaration de cet appel au besoin. Il y a une terrible défaillance de l’un des nôtres, et la honte rejaillit sur toute la profession. C’est notre devoir d’assurer à tous une défense de qualité, et les défis qui nous attendent dans les mois à venir vont nous imposer une plus grande rigueur et une plus grande présence encore. Sans l’énergie déployée par le président du premier tribunal et l’avocate de la partie civile, Françoise Margo, soutenue sans réserve par le bâtonnier Charrière-Bournazel qand d’autres membres du Conseil de l’Ordre opinaient qu’il ne fallait rien faire, secret professionnel oblige, oubliant le Principe essentiel d’humanité qui clôt pourtant notre serment, sans Rachida Dati, qui a aussitôt saisi la Commission de révision - oui, je lui rends hommage, profitez-en, un homme aurait passé 18 mois en prison, et aurait été fiché 20 ans au FIJAIS, pour rien. Pour rien.
Las, les malheurs de M. Kamagate ne sont pas finis, puisqu’il a fait l’objet d’un arrêté préfectoral de reconduite à la frontière en avril dernier.Même libre, il encombre. La légalité de cette reconduite est aussi douteuse que sa culpabilité, puisqu’il est en France depuis 20 ans, même s’il n’a de preuves que pour les 12 dernières années. Quel juge administratif accepterait de le renvoyer dans un pays qu’il a quitté quand Félix Houphouët-Boigny était encore au pouvoir ? Si le préfet de police Michel Gaudin voulait bien faire un geste pour ce monsieur à qui la République a fait beaucoup de mal injustement. Je crois que la honte collective qui nous étreint tous, car le jugement ayant condamné un innocent commençait par les mots “Au nom du peuple français”, nous serait plus supportable.
Régularisez M. Kamagate. Par pitié.