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Prévention du VIH dans les maisons d’arrêt et les centres d’exécution des peines

Mise en ligne : 24 septembre 2002

Texte de l'article :

http://www.aidsnet.ch/f/prevention_target_inmate_1.htm

Prévention
du VIH dans les maisons d’arrêt et les centres d’exécution des peines
Dr jur. Dina Zeegers Paget, responsable à l’OFSP du groupe d’experts "Sida en milieu carcéral"
La Suisse compte quelque 170 prisons. La plupart d’entre elles abritent essentiellement des personnes en détention préventive, en semi-liberté ou qui purgeant des peines de courte durée. Les personnes condamnées à des peines plus lourdes sont prises en charge dans deux douzaines d’institutions à capacité moyenne et grande. La majorité de ces prisons offrent moins de 100 places, les autres comptent entre 100 et 200 places. Seuls deux d’entre elles dépassent les 300 places. Le 1er décembre 1995, environ 4450 personnes étaient incarcérées en Suisse.
L’opuscule intitulé "Prévention du VIH en Suisse, buts, stratégies, mesures" a été publié au mois de mai 1993 par l’Office fédéral de la santé publique (OFSP) en collaboration avec la Commission fédérale pour les problèmes liés au sida. Après sa diffusion, le groupe d’experts "Sida en milieu carcéral" a organisé en septembre de la même année un tour de table réunissant les directeurs d’institutions pénitentiaires, les administrateurs de prisons ainsi que d’autres spécialistes du sida en milieu carcéral. L’OFSP a également organisé des entretiens avec les trois commissions de concordat et les neuf représentants de la Conférence des directeurs cantonaux de Justice et police et de la Conférence des médecins et psychiatres pénitentiaires.
L’opuscule de l’OFSP définit quant à lui une liste de priorités :
information et distribution de préservatifs aux prisonniers ;
cours de perfectionnement pour le personnel des prisons ;
poursuite des programmes destinés aux prisonniers qui consomment de la drogue ;
lancement de projets-pilotes.
Principaux résultats
Information et distribution de préservatifs
Concernant la prophylaxie du sida, la consultation effectuée en 1993 par le Département fédéral de justice et police donne les résultats suivants :
88% des institutions pénitentiaires distribuent des brochures d’information ;
seules 30% d’entre elles distribuent des préservatifs ;
la distribution de préservatifs atteint 85% dans les centres d’exécution des peines.
Les chiffres actualisés ne sont pas encore disponibles.
Cours de perfectionnement
Quelque 30 cours de perfectionnement ont été organisés jusqu’à la mi-95 dans le cadre du projet de formation du personnel des prisons de l’OFSP. Ceux-ci concernaient les maisons d’arrêt, les centres d’exécution des peines et les institutions pour mineurs - depuis fin 1994 uniquement - en Suisse alémanique. Le personnel de 40 centres carcéraux a participé à ces séances. Aujourd’hui, il est souhaitable d’entamer là où cela est possible une collaboration étroite avec les centres régionaux de prévention du sida.
Le programme poursuit trois objectifs essentiels :
transmission de connaissances actualisées sur le sida ;
lutte contre certaines peurs et idées reçues ;
analyse des moyens mis en œuvre par rapport aux objectifs fixés par l’OFSP, amélioration des stratégies en matière de prévention et d’assistance.
En Suisse romande et au Tessin, le personnel des prisons peut bénéficier des cours de perfectionnement proposés par le Centre médico-social PRO FAMILIA. Certaines des institutions concernées n’ont jusqu’ici pas jugé utile d’en profiter.
Poursuite des programmes existants
La poursuite de programmes tels que la distribution de produits de désinfection des seringues ou la distribution de méthadone n’est pas systématique. La distribution de seringues par exemple ne touche aujourd’hui que trois établissements en Suisse : à Oberschöngrün et Champ-Dollon, les médecins peuvent distribuer des seringues ; à la prison pour femmes de Hindelbank, les détenues disposent d’un distributeur automatique de seringues.
Le rapport sur la méthadone de la Commission fédérale des stupéfiants (décembre 1995) évoque la problématique du traitement à la méthadone en milieu carcéral. Il révèle que la poursuite des programmes de distribution déjà entamés est envisageable dans la plupart des prisons régionales et de district. En revanche, un tiers des centres d’exécutions des peines rejettent l’idée d’une poursuite du programme. Le lancement de nouveaux programmes est irréalisable dans 50% des prisons régionales et de district, dans 64,7% des pénitenciers et dans 28,5% des centres d’exécution des mesures.
Lancement de projets-pilotes
Un certain nombre de projets-pilotes ont vu le jour depuis la parution de l’opuscule de l’OFSP. En mai 1994, la prison pour femmes de Hindelbank a entamé un programme de distribution de seringues qui a pu être soumis à une évaluation scientifique. Ses retombées ont été positives : la faisabilité de tels projets - qui ne dégagent aucun effet secondaire négatif - a été démontrée. Dans ce contexte, la formation et le perfectionnement du personnel des prisons ont été jugées essentielles.
Durant l’été 1995, un projet-pilote de distribution contrôlée d’héroïne a été lancé à Oberschöngrün (projet KOST). Par ailleurs, un programme de prévention axé sur les pratiques sexuelles (MEDIA) a démarré à la prison de Saxerriet. Celui-ci est axé sur la désignation de médiateurs dans la population carcérale.
Quelques zones d’ombre importantes
Les données de prévalence sont lacunaires. On ignore en particulier le nombre de consommateurs de drogue parmi les détenus. Deux enquêtes, dont les résultats ont été publiés en 1995 et 1996, donnent cependant quelques éléments de réponse :
la proportion des détenus coupables de délits liés aux stupéfiants atteignait 42,5% en 1993 ;
en 1993 toujours, 25,8% des détenus consommait des drogues (estimation) ;
un tiers des détenues et détenus interrogés dans le cadre de l’enquête sur la santé des Suisses avouent qu’ils consomment au minimum une fois par semaine des opiacés et de la cocaïne (1993) ;
deux tiers de ces consommateurs réguliers d’héroïne affirment s’injecter la drogue.
Les lacunes en matière d’épidémiologie (prévalence de maladies infectieuses comme le sida ou l’hépatite, consommation de drogue, comportements à risques) et la rareté des évaluations rendent les décisions politiques difficiles et ralentissent le développement de mesures de prévention adéquates.
Le dogme de l’abstinence étant largement dominant, la classe politique ne semble pas encore prête à assumer des projets tels que la distribution de seringues dans les prisons. Ces mesures sont pourtant urgentes : les détenus consommateurs de drogues sont tout particulièrement menacés par le sida.
Les médecins des prisons, eux, n’ont toujours pas adopté de pratique commune concernant la distribution de méthadone ou l’application d’autres mesures préventives. Cette absence de consensus pose problème lors du déplacement des détenus d’un centre à l’autre.
Le conseil personnalisé des séropositifs à la sortie des prisons (prévention du sida) et la transmission d’informations concernant les [organisations d’entraide->http://www.aidsnet.ch/f/prevention_org.htm] n’est pas systématiquement pratiqué. Enfin, la prévention du sida chez les détenus de nationalité étrangère s’organise difficilement et l’on ne tient pas suffisamment compte des particularités ethniques des personnes concernées.

Vue d’ensemble
Les stratégies qui se sont révélées positives sont maintenues. Ainsi, le succès du projet-pilote de distribution de seringues à Hindelbank a été dûment enregistré et le projet se poursuit. Le programme de formation du personnel des prisons lancé par l’OFSP est maintenu jusqu’à la fin de cette année. Il est prévu que le Centre de formation suisse pour le personnel carcéral soit impliqué de manière dominante dans la diffusion de stratégies de prévention de la drogue et du sida. Les centres de formation continue enfin devraient tout mettre en œuvre pour améliorer la capacité d’écoute et les connaissances techniques des personnels concernés.
Des données à compléter
L’OFSP a pris la décision de compléter les données à sa disposition. Ainsi, plusieurs études ont été commandées concernant la prévalence sanitaire en milieu carcéral. Parallèlement, il est prévu de multiplier les études d’évaluation des projets existants dans les années qui viennent en se basant sur des arguments scientifiques.
Mais rien n’est possible sans décisions politiques concernant certaines mesures de prévention, et en particulier la distribution de seringues. Car ne l’oublions pas, ces mesures peuvent contribuer à limiter les périodes de dépendance et augmenter les chances de sevrage.
La généralisation des mesures de prévention ne sera possible que grâce à un large échange d’information et d’évaluation des règles en vigueur dans chaque institution. Le groupe d’experts "Sida en milieu carcéral" et la Commission fédérale pour les problèmes liés au sida ont élaboré des recommandations concernant la distribution de seringues dans les prisons. Les propositions de la Commission fédérale sur les stupéfiants concernant le traitement à la méthadone constituent également un premier pas vers la [recherche->http://www.aidsnet.ch/f/medical_research.htm] d’un consensus.
D’entente avec le groupe d’experts "Sida en milieu carcéral", l’OFSP tente aujourd’hui d’intégrer la problématique sida dans une approche plus large de la santé. L’objectif avoué de l’OFSP est de mettre en place un véritable programme sanitaire global en milieu carcéral.