Cher Julik
J’ai reçu avec beaucoup d’enthousiasme tes nouveaux dessins : on voit que tu es heureux et cela me permet de penser que tu es en bonne santé. Mais dis-moi - ne dessines-tu des dessins que pour t’amuser ? sais-tu faire sérieusement des dessins pour t’amuser ? Tu ne m’as pas écrit si en classe on t’apprend à dessiner, si tu aimes aussi à dessiner sérieusement. Moi, étant gamin, je dessinais beaucoup mais les dessins étaient plutôt des travaux de patience : personne ne m’avait appris. Je reproduisais en les agrandissant les figures et les tableaux d’un petit journal. J’essayais même de reproduire les couleurs fondamentales par le moyen d’un mien système non difficile mais qui demandait beaucoup de patience. Je me rappelle d’un petit tableau qui me coûta au moins trois mois de travail ; un jeune paysan était tombé tout habillé dans une cuve pleine de raisin prêt à être foulé et une jeune paysanne toute ronde et grassouillette le regardait mi-effrayée mi-ébaudie. Le tableautin était tiré d’une suite d’aventures dont le personnage principal était un terrible bouc (Barbabouc) qui cognant de la tête à l’improviste et par traîtrise faisait voltiger dans les airs ses ennemis et les enfants qui s’étaient moqués de lui. Les dénouements étaient toujours drôles comme dans mon tableautin. Comme je m’amusais à agrandir le petit dessin : mesures avec le double centimètres et le compas, ébauches, esquisses au crayon, etc. !... les frères et les sœurs regardaient, riaient, mais ils préféraient courir et crier et ils me laissaient à mes exercices. Cher Julik, je t’embrasse.