Prison de Milan, 30 avril 1928
Très chère Tania,
... Je ne sais si tu as été informée que le procès a été fixé au 28 mai, ce qui signifie que le départ approche. J’ai déjà vu l’avocat Ariis. Ces changements prochains m’excitent grandement ; de manière agréable cependant. Je me sens plus vibrant de vie ; il y aura une certaine lutte, j’imagine. Ne serait-ce que pour quelques jours je me trouverai dans une autre ambiance que celle de la prison.
Je proteste contre tes déductions au sujet des... têtes de cabris. Je suis très informé sur ce commerce. A Turin, j’ai fait en 1919, une large enquête, parce que la municipalité boycottait les agneaux et les chevreaux sardes pour favoriser les lapins piémontais : il y avait à Turin environ quatre mille bergers et paysans sardes en mission spéciale [1] et je voulais les éclairer sur cette question. Les agneaux et les cabris méridionaux arrivaient à Turin sans tête, mais il y a un certain nombre de commerçants locaux qui fournissent aussi la tête. Que la tête d’agneau ou de cabri soit difficile à trouver se voit au fait que promise qu’elle vous est le dimanche vous ne pouvez l’avoir que le mercredi. De plus moi je ne savais jamais s’il s’agissait d’agneau ou de cabri, bien qu’elle fût toujours excellente...
Je regrette beaucoup que Julie soit restée si longtemps sans nouvelles. Nous reverrons-nous avant mon départ ? Je ne le crois pas. Ne fais pas d’imprudence. Soigne-toi bien. C’est seulement à cette condition que je serai tranquille. N’oublie pas que désormais je ne pourrai t’écrire que rarement. Je t’embrasse.
ANTOINE