Cour Administrative d’Appel de Paris, 12 juin 2006, n° 03PA03642
Vu la requête, enregistrée le 8 septembre 2003, présentée pour Mme Hélène X, demeurant ..., en son nom et au nom de sa fille mineure Montaine, Mme Jeanne Y demeurant ..., en son nom et au nom de sa fille mineure Manon, M. et Mme Fernand X, demeurant ..., Mlle Marie-Hélène X demeurant ... et M. Franck X demeurant ..., par Me Joissains-Masini ; les consorts X demandent à la cour :
1°) d’annuler le jugement n° 9815218/7 en date du 30 juin 2003 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté leur demande tendant à la condamnation de l’Etat à leur verser diverses indemnités en réparation des préjudices qu’ils ont subi du fait du décès de leur époux, père, ancien compagnon, fils et frère, Jean-Luc X, qui s’est suicidé en prison le 23 janvier 1997 ;
2°) de condamner l’Etat à verser la somme totale de 762 245, 09 euros à Mme Hélène X et sa fille Montaine, 15 244, 90 euros à Mme Y et 45 734, 71 euros à sa fille Manon, 45 734, 71 euros chacun à M. Fernand X, Mme Marcelle X, Mlle Marie-Hélène X et M. Franck X, outre une somme de 7 622, 45 euros aux parents et enfants de la victime pour préjudice moral ;
3°) de condamner l’Etat à leur verser la somme de 3 048, 98 euros sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de procédure pénale ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience ;
Après avoir entendu au cours de l’audience publique du 24 mai 2006 :
- le rapport de Mme Pellissier, rapporteur,
- les observations de Mme A pour le Garde des sceaux,
- et les conclusions de Mme Folscheid, commissaire du gouvernement ;
Considérant que la famille de M. X, inspecteur de police détenu depuis le 6 décembre 1996 qui s’est suicidé par pendaison dans sa cellule le 23 janvier 1997, a demandé à l’Etat l’indemnisation des préjudices causés par son décès, résultant selon elle d’une faute lourde de l’administration pénitentiaire ;
Considérant, d’une part, que, comme l’a indiqué le tribunal administratif, la circonstance que le gardien effectuant sa ronde à 0 h 35 était démuni de clé et n’a pu pénétrer immédiatement dans la cellule lorsqu’il a constaté que l’oeilleton était obturé était conforme au code de procédure pénale et au règlement de sécurité ; que si les consorts X font valoir en appel qu’il appartenait dès lors à l’administration pénitentiaire de prévoir un dispositif empêchant l’obturation de l’oeilleton ou permettant de visualiser autrement l’intérieur de la cellule, la mise en place, à la supposer possible, d’un tel dispositif n’aurait de toute façon pas accéléré l’arrivée des secours qui ont été appelés dès que l’obturation de l’oeilleton a été découverte ;
Considérant, d’autre part, que si le gardien ayant découvert le suicide de M. X a signalé dans le rapport de police établi suite au suicide que le détenu paraissait « abattu », il a indiqué ensuite « sans être dépressif » ; que cette mention n’est donc nullement de nature à démontrer que, contrairement à ce qu’a estimé le tribunal, M. X aurait eu des tendances suicidaires connues de l’administration ; que les consorts X, qui ont a posteriori fait procéder à une expertise graphologique des lettres reçues de M. X, ne sauraient utilement faire valoir que l’état dépressif de M. X était « démontré par ses courriers », ceux-ci n’ayant en tout état de cause pas été adressés à l’administration ; que la prescription de somnifères et anxiolytiques par le médecin de la prison ne démontre pas plus des tendances suicidaires justifiant une surveillance particulière ; qu’enfin il ressort des pièces du dossier que la circonstance que M. X n’avait pu rencontrer ce médecin le 22 janvier comme il était prévu résultait de sa propre audition par l’inspection de la police nationale et non de « l’indisponibilité » de ce médecin ;
Considérant que le tribunal administratif n’a commis aucune erreur d’appréciation en estimant que dès lors que M. X ne s’était pas signalé par une tendance suicidaire, la faute commise en laissant à sa disposition, en violation des dispositions de l’article D. 273 du code de procédure pénale, des objets potentiellement dangereux pour lui-même, en l’espèce des vêtements comportant des cordons qui ont servi à son suicide et une paire de ciseaux utilisée pour couper ces cordons, ne constituait pas une faute lourde seule de nature à engager la responsabilité de l’administration ;
Considérant enfin que le passage du mémoire en défense du Garde des sceaux, enregistré le 29 septembre 1998, qui relativise le préjudice économique que la famille soutenait avoir subi en indiquant que « rien ne prouve que l’intéressé aurait pu continuer à exercer ses fonctions dans la police », n’affirme pas la culpabilité de M. X et n’est donc en tout état de cause pas contraire à la présomption d’innocence ;
Considérant qu’il résulte de ce qui précède que les consorts X ne sont pas fondés à soutenir que c’est à tort que, par le jugement litigieux, le tribunal administratif a rejeté leur demande ; que leur requête, y compris les conclusions tendant à la condamnation de l’Etat, qui n’est pas la partie perdante, à prendre en charge les frais de procédure en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ne peut qu’être rejetée ;
D E C I D E :
Article 1er : La requête de Mme Hélène X, Mme Jeanne Y, M. et Mme Fernand X, Mlle Marie-Hélène X et M. Franck X est rejetée.
Type de recours : plein contentieux
Demandeur : MIALET
Défendeur : GARDE DES SCEAUX - MINISTERE DE LA JUSTICE - DAGE
Composition de la juridiction : Mme CARTAL, Mme Sylvie PELLISSIER, Mme FOLSCHEID, JOISSAINS MASINI