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Mise en ligne : 20 novembre 2006

Texte de l'article :

ECOLE NATIONALE D’ADMINISTRATION PENITENTIAIRE

CERTIFICAT D’APTITUDE AUX FONCTIONS DE CONSEILLER D’INSERTION ET DE PROBATION - 10ème promotion 2006

Les missions du Conseiller d’Insertion et de Probation auprès des Tsiganes incarcérés

Présenté par : Antoine Poëzévara

Sous la direction de : Jean-Charles Ascon-Boutier,
Directeur adjoint de l’Association Ulysse 35

INTRODUCTION

L’intérêt que je porte à la question des Gens du Voyage n’est pas nouveau. Ayant grandi à proximité d’un terrain d’accueil de Voyageurs, j’ai côtoyé très jeune ceux que je ne connaissais que sous le vocable réducteur de “ Manouches ”. J’ai rapidement ressenti l’incompréhension que cette culture suscitait, et entendu les discours convenus qui conduisaient à l’exclusion de ces citoyens français du champ collectif.
Le parallèle fut pour moi saisissant lorsque je suis entré dans la formation de Conseiller d’Insertion et de Probation. Les incompréhensions et les idées reçues sur les détenus étaient tout aussi nombreuses quand j’évoquais autour de moi ma future profession. Effectuer un travail de recherche dans le cadre d’un mémoire permettant de réfléchir à notre pratique professionnelle m’a tout de suite inspiré quant au sujet que j’allais traiter. Il allait concerner les Gens du Voyage incarcérés.

Dès mon premier stage de découverte du milieu pénitentiaire en qualité de surveillant à la Maison d’Arrêt de Rennes, j’ai été en contact avec des Tsiganes incarcérés. Cette première confrontation avec le terrain m’a prouvé que le fossé existant entre les sédentaires et les Voyageurs était bien présent en détention. A travers nombre de discussions informelles avec des surveillants, j’ai réalisé que les incompréhensions et la méconnaissance de ce public particulier entraînaient de la peur et de la méfiance, conduisaient à un renfermement de ces personnels sur leurs conceptions antérieures et annihilaient les volontés éventuelles de dépasser ces blocages.
Mes différents stages au Service Pénitentiaire d’Insertion et de Probation de l’Indre m’ont là encore permis de rencontrer des Voyageurs incarcérés, et peu à peu, dans la progression de la formation, d’en suivre certains dans le cadre des missions de Conseiller d’Insertion et de Probation. Il m’est alors apparu que le travail auprès de ce public spécifique nécessitait, pour le Conseiller d’Insertion et de Probation, une réelle compréhension de leur culture, de leurs valeurs, et les mécanismes engendrés par celles-ci lors de l’incarcération. Sans quoi, il me semblait impossible de mener à bien les missions du CIP. Et les collègues du SPIP de l’Indre m’ont encouragé dans cette voie, à la fois par l’intérêt que mon travail suscitait, et par la nécessité de prendre du recul sur ma pratique professionnelle et de réfléchir à la mise en œuvre de nos missions.

Le sujet de mes travaux étant trouvé, j’ai écouté tout ce qui pouvait être dit par les membres de l’Administration Pénitentiaire concernant les gens du voyage, essayant de m’imprégner au maximum des points de vue divers et variés.
Le terrain de recherche fut la Maison d’Arrêt de Rennes lors de mon stage surveillant, puis le Centre Pénitentiaire de Châteauroux lors de mes stages en SPIP. Une fois cette première phase réalisée, j’ai procédé à la lecture d’ouvrages traitant de la culture des Tsiganes, de façon assez large, pour bien connaître ces populations. Les ouvrages de J-P Liégeois, de A. Reyniers, mais aussi la revue Etudes Tsiganes ont été précieux à cet égard. Puis j’ai voulu me concentrer sur des ouvrages plus thématiques, en l’occurrence sur les rapports entre les Voyageurs et la Justice. A ce stade, une des difficultés majeures rencontrées fut le manque de ressources écrites au-delà des ouvrages théoriques généraux. Il m’a donc semblé encore plus pertinent de travailler sur la question des Voyageurs incarcérés, le sujet semblant peu traité, en dehors de travaux effectués par des CIP en formation.

Le stage auprès d’un partenaire de l’action sociale m’a permis d’avoir une approche très riche des Tsiganes. Ayant été un mois au sein de l’association Ulysse 35, j’ai pu appréhender le travail social auprès de ces populations, et les difficultés inhérentes à celui-ci. En l’occurrence, le réel questionnement des travailleurs sociaux de l’association entre une prise en charge spécifique de cette population et la disparition souhaitée de leur spécificité au profit d’une intégration dans les dispositifs de droit commun pour les Tsiganes. Enfin, la confrontation auprès des institutions et des pouvoirs publics m’est apparue comme essentielle à traiter .
Ce questionnement, je me le suis posé concernant la prise en charge des Tsiganes incarcérés, et c’est ainsi que ma problématique est née. Il s’agissait de savoir, à partir de l’adaptation des Voyageurs au sein de l’institution pénitentiaire, comment le CIP pouvait mettre en œuvre ces missions, en d’autres termes, quels seraient ces axes de travail auprès de ce public spécifique ?

Mes hypothèses de départ étaient les suivantes :
• les Tsiganes s’adaptent collectivement à la détention, supportant ainsi les effets de désocialisation provoqués par la privation de liberté
• ils adoptent au contraire des attitudes plus neutres, voulant se “ fondre ” parmi les autres détenus, exécutant leur peine sans se démarquer en détention

Mes observations sur le terrain m’ont permis alors de réaliser que ces processus d’adaptation étaient en réalité complexes, et que des enseignements ne pourraient être tirés qu’après une étude précise de ces processus.
Je me suis appuyé sur plusieurs bases théoriques pour décrypter ces processus d’adaptation. En premier lieu, les travaux de E. Goffman sur les situations de reclus dans les institutions totalitaires, ainsi que sur les usages des handicaps sociaux au sein des groupes. L’ouvrage de A-M Marchetti sur les longues peines m’a également apporté des éléments sur le vécu des premiers jours d’incarcération, sur le choc carcéral.

La phase de recueil des données s’est alors poursuivie par les entretiens effectués auprès de Voyageurs incarcérés au Centre Pénitentiaire de Châteauroux. Les entretiens se sont déroulés suivant une grille de questions élaborée précédemment, donc sous le mode semi-directif. Un temps de libre parole était toujours possible, en fin d’entretien, pour les détenus qui le souhaitaient.
L’analyse des données recueillies lors de ces entretiens va valider mes deux hypothèses de départ, en les complexifiant par les interactions et les imbrications de l’une dans l’autre. Me fondant sur les éléments analysés, j’ai pu alors réfléchir sur le positionnement professionnel du Conseiller d’Insertion et de Probation à travers la prise en charge des détenus Tsiganes. Je me suis interrogé sur la mise en œuvre des missions de ce dernier auprès de ce public, et dans quelle mesure celles-ci doivent prendre en compte les caractéristiques des Tsiganes incarcérés pour mener à bien le mandat judiciaire qui lui permet d’agir.

Au cours de cette étude, plusieurs difficultés sont apparues, engendrant des adaptations nécessaires à ces contraintes. Tout d’abord, le peu de ressources écrites disponibles traitant du thème de l’incarcération des Voyageurs. Il m’a donc fallu partir de données assez générales en ce domaine pour ensuite pouvoir me centrer sur la problématique. Cependant, ce manque de données écrites a pu être en partie comblée par des écrits en provenance d’autres pays, ce qui pouvait avoir également un intérêt comparatif.
Ensuite, des doutes ont pu surgir à certains moments quant à la pertinence du sujet traité, m’amenant à me demander si des résultats probants pourraient être finalement retirés de cette étude. C’est en cours de formation à l’Ecole Nationale d’Administration Pénitentiaire et sur les terrains de stage que j’ai réellement compris ce que ces travaux de recherche allaient apporter au niveau de ma pratique professionnelle et de la réflexion sur celle-ci. La prise de recul nécessaire et souhaitable avant d’entrer dans les fonctions de Conseiller d’Insertion et de Probation.
Enfin, et dans une moindre mesure, les barrières à faire tomber pour que les détenus Tsiganes acceptent de se livrer sans avoir peur que leur propos soient utilisés en leur portant préjudice. Il a fallu plusieurs fois expliquer aux détenus le cadre de l’enquête et l’anonymat dans lequel leurs propos seraient utilisés.

Le développement qui suit se découpe en trois parties principales. La première est une approche à la fois historique, sociologique mais également législative des populations Tsiganes en France. La deuxième partie concernera l’incarcération des Voyageurs, l’adaptation à l’institution, les bénéfices qui en sont retirés. La troisième et dernière partie sera consacré à la mise en œuvre des missions du CIP auprès du public particulier constitué par les Tsiganes, les points à mettre en exergue dans leur prise en charge, mais également les limites et les difficultés à appréhender.