Publié le samedi 23 décembre 2006 | https://banpublic.org/2006-ils-sont-les-tout-premiers/ Ils sont les tout premiers aumôniers généraux musulmans En septembre dernier, le conseil d’administration du Conseil français du culte musulman entérinait la nomination de trois premiers aumôniers généraux musulmans au sein de l’armée, la prison et l’hôpital « Tous devront être pratiquants, observer les cinq piliers de l’Islam avec une bonne connaissance de la jurisprudence et des principes musulmans qui sont universels : la solidarité, la générosité, la liberté, la compassion, les droits de l’homme. Ils devront les comprendre, les appliquer et en être les vecteurs », précise Abdelkader Arbi. « Ils devront acquérir un bagage théologique suffisant, et s’initier aux spécificités du milieu carcéral, ajoute Moulay El Alaoui Talibi. En prison, on est face à des gens pauvres à tous niveaux : socialement, intellectuellement, affectivement. Il faut tenter de leur enlever la haine. » « Ils doivent avoir une solide formation humaine, théologique et spirituelle », conclut Abdelhak Nabaoui, qui compte, comme ses pairs, s’appuyer sur l’expérience acquise d’autres aumôniers, notamment chrétiens. Abdelkader Arbi, bientôt sur le porte-avions « Charles-de-Gaulle » Âgé de 46 ans, Abdelkader Arbi est le premier aumônier militaire en chef musulman. Né en Algérie, où son père servait dans l’armée française, il est arrivé en France en 1962. Marié en 1979 avec Khadra, il est père de six enfants (de 6 à 25 ans). Diplômé de l’École de chimie de Lyon, il a travaillé comme responsable de projet dans la société BASF, ce qui lui a donné l’occasion d’effectuer un séjour en Chine d’un an et demi avec pour mission la construction et le démarrage d’une usine de production d’insecticide destiné aux rizières. Conseiller municipal de Cléon (Seine-Maritime) et recteur de la mosquée d’Elbeuf, il a été de 2003 à 2005 président du Conseil régional du culte musulman de Haute-Normandie et rapporteur des commissions « aumônerie » et « viande halal » au sein du Conseil français du culte musulman. Profondément croyant, faisant toujours preuve d’une grande ouverture d’esprit, il n’appartient à aucune des grandes fédérations musulmanes et revendique d’ailleurs fortement son indépendance. Le 25 juin, peu après sa nomination comme aumônier « en chef », il participait à la commémoration de la bataille de Verdun au cours de laquelle était inauguré à Douaumont un monument dédié aux soldats musulmans morts pour la liberté de la France « alors qu’eux-mêmes en étaient privés ». À ses yeux, un acte de reconnaissance « fondamental ». Depuis, il a rencontré les autorités militaires pour mettre au point et asseoir les structures de l’aumônerie. Il doit désormais proposer au ministre de la défense des noms pour les postes d’aumôniers militaires en chef adjoints ou régionaux. Un second aumônier musulman a déjà été nommé, en octobre, plus particulièrement chargé de la région sud. L’aumônerie devrait compter, d’ici à la fin 2007, une quinzaine d’aumôniers musulmans, recrutés principalement à travers le vivier de l’armée d’active. À titre indicatif, l’armée compte actuellement 168 aumôniers catholiques, 38 protestants et 19 israélites. « L’aumônier n’est pas envoyé qu’auprès des soldats de confession musulmane. Il doit être à l’écoute, humblement, sans s’imposer », précise Abdelkader Arbi qui fait actuellement ses premiers pas sur le terrain avant de monter à bord du porte-avions Charles-de-Gaulle. Moulay El-Hassan El-Alaoui Talibi, recruteur d’aumôniers pour les prisons Autre aumônier, récemment nommé : Moulay El Hassan El Alaoui Talibi, aumônier général des prisons. Âgé de 50 ans, il a quitté le Maroc en 1978 pour suivre des cours de mathématiques appliqués à la mécanique à l’université de Lille. Il est aujourd’hui marié et père de 7 enfants. Professeur de mathématiques, il est aussi depuis huit ans aumônier du centre de détention de Loos (Nord) et depuis six ans aumônier régional. Il est aussi vice-président de la Fédération nationale des musulmans de France. Homme pondéré et constructif, il a le souci de se faire proche de tout homme, « surtout de ceux qui sont en détresse ». « Tout homme peut commettre des erreurs, dit-il, l’essentiel est de l’aider à se remettre en question. » « Dieu, ajoute-t-il, pardonne tous les péchés, à condition d’arrêter de commettre des fautes, d’éprouver du remords, de ne pas récidiver, de demander pardon à l’autre et de réparer. Le rôle spirituel de l’aumônier n’est pas seulement de guider la prière du vendredi ou d’apporter des colis pendant le Ramadan. Il est d’accompagner autant que possible ce cheminement. » Moulay El Alaoui Talibi sera notamment chargé de sélectionner des candidats et de les proposer à l’agrément de l’administration pénitentiaire. Aujourd’hui, selon le sociologue Farad Khosrokavar, directeur des études à l’École des hautes études en sciences sociales, et auteur de L’Islam dans les prisons (Éd. Balland, 2004), les musulmans forment entre 50 et 80 % de la population carcérale. Or, seuls 80 aumôniers musulmans (dont 30 indemnisés) sont autorisés à visiter les prisons. À titre de comparaison, il y a actuellement 510 intervenants pour l’aumônerie catholique, dont 365 aumôniers. Ceux-ci sont d’ailleurs souvent les seuls interlocuteurs des détenus musulmans qui ne peuvent, faute d’imams agréés, participer à une prière collective. Le rôle de Moulay El Alaoui Talibi sera d’autant plus « crucial » que le prosélytisme, s’il reste marginal - 175 détenus prosélytes sur 60 000 en 2005 selon les renseignements généraux - existe bel et bien en prison. Abdelhak Nabaoui, une présence auprès des malades Dernier d’entre ces aumôniers généraux : Abdelhak Nabaoui choisi par le CFCM comme aumônier général des hôpitaux. Âgé de 42 ans, de nationalité marocaine, il est venu en France pour poursuivre ses études universitaires. Titulaire d’un doctorat en sciences physiques, il enseigne la physique au collège du Parc à Illkirch. Vice-président du CRCM Alsace, président régional de l’Union des organisations islamiques de France (UOIF), il participe aussi à l’émission « Dialogue des religions » de France-Bleu Alsace. « Le dialogue est indispensable, dit-il. Il participe à l’apaisement. » Ce père de 3 enfants est depuis longtemps un homme engagé, qui aime « aider et servir », préfère « être actif que spectateur ». Ces diverses responsabilités lui ont valu des attaques répétées. Le cabinet médical de son épouse a également été la cible d’inscriptions racistes ou d’inspiration nazie. Son expérience d’aumônier d’hôpital à Mulhouse et à Strasbourg lui a permis de réfléchir à la place d’une aumônerie. « Notre rôle, dit-il, c’est d’abord d’être une présence auprès des personnes fragilisées par la maladie, de dire une parole pour apaiser leur douleur. Nous sommes aussi amenés à répondre à des questions d’ordre pratique - par exemple le droit de ne pas jeûner pendant le Ramadan - et à accompagner la personne mourante. » Abdelhak Nabaoui a pris contact avec le ministère de la santé. Il doit aussi rencontrer les directeurs d’hôpitaux, et surtout recenser les aumôniers, bénévoles ou salariés, déjà en fonction. Un travail d’autant plus urgent que l’administration hospitalière fait état de conflits de plus en plus nombreux entre le personnel et certaines familles musulmanes : refus de pères ou de maris de voir leur fille ou leur femme se faire examiner par un médecin homme, refus de se faire soigner par des personnes non-musulmanes. Martine DE SAUTO Recruter et former des aumôniers parlants bien français, qui adhèrent aux valeurs républicaines : c’est la priorité que se fixent les trois aumôniers musulmans récemment nommés par le CFCM (Conseil français du culte musulman). Source : La Croix |