Publié le dimanche 1er février 2004 | https://banpublic.org/03-11-03-seance-sur-le-principe-de/ Séance sur les difficultés posées par l’application du principe de légalité en matière pénitentiaire Présentation par Martine Herzog-Evans La question est posée de manière basique, cruciale, dans le domaine des sanctions quasi disciplinaires (C). Elle l’est également, malgré les réformes successives, pour celui des sanctions disciplinaires (B). Le principe de légalité a pourtant un support juridique incontestable en matière répressive (A). A) Fondements du principe de légalité Contenu. Mais aussi : Outre les fondements chez les auteurs des Lumières (Montesquieu, mais surtout Beccaria, Des délits et des peines), les fondements textuels internes et supranationaux abondent. 1. Les sources internes Plusieurs articles de la déclaration des droits de l’homme de 1789 peuvent servir de support au principe de légalité sous ses divers aspects. - L’article 5 : « tout ce qui n’est pas défendu par la loi ne peut être empêché et nul ne peut être contraint de faire ce qu’elle n’ordonne pas ». - L’article 8 : « la loi ne peut établir que des peines strictement et évidemment nécessaires et nul ne peut être puni qu’une vertu d’une loi établie et promulguée antérieurement au délit et légalement appliquée ». - L’article 7 : « nul homme ne peut être arrêté ni détenu que dans les cas déterminés par la loi et dans les formes qu’elle a prescrites ». A côté des textes de la DDH, deux textes sont insérés dans le Code pénal. Article 111-3 du Code pénal. Article 111-4 du Code pénal Il faut aussi citer la jurisprudence du Conseil constitutionnel La règle selon laquelle un texte répressif doit être extrêmement précis a valeur constitutionnelle. V. C.C 19-20 janvier 1981 (JCP 1981, II, n° 19701, note FRANCK ; D. 1982, p. 441, note DEKEUVER). Le Conseil constitutionnel a ainsi, à plusieurs reprises, censuré des lois parce qu’elles n’étaient pas assez précises. Les fondements en opportunité Traditionnellement l’on invoque aussi des fondements en opportunité au principe de légalité comme : Application en droit disciplinaire L’ensemble des ordres répressifs non pénal, et spécialement l’ordre disciplinaire, opère, depuis une décennie environ, un rapprochement croissant vers le droit pénal, qu’il s’agisse du droit de fond ou de la procédure. 2) Les sources supranationales La Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 La Convention européenne des droits de l’homme Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966 B) Insuffisances de l’application du principe de légalité en matière disciplinaire 1. L’apparence observation du principe de légalité Elle se traduit par une présentation globale du droit disciplinaire comme étant inspirée du principe de légalité et du droit pénal en particulier. Le droit disciplinaire pénitentiaire se place d’emblée dans le cadre du principe de légalité Pour y parvenir, le décret du 2 avril 1996 (n°96-287) s’inspire à l’évidence du droit pénal, d’une part, en ce qu’il dresse une liste des sanctions punissables d’apparence exhaustive, et, d’autre part, en prévoyant pour celles-ci une classification tripartite. Le caractère limitatif des fautes disciplinaires apparaît à la lecture des articles D 249-1 à D 249-3 du code de procédure pénale. Il ressort de l’insertion, en préalable a la liste qui les introduit, d’un A. intitulé « Les fautes disciplinaires ». De la même manière, l’article D 249 énonce que « les fautes disciplinaires sont classées…. ». La division tripartite des fautes disciplinaires est également empruntée au droit pénal. Les fautes disciplinaires sont classées en trois catégories soumises à des régimes pour partie divergents, comme en matière pénale. De plus, l’article D 249 du Code de procédure pénale énonce que « Les fautes disciplinaires sont classées, suivant leur gravite, et selon les distinctions prévues aux articles D 249-1 a D 249-3 en trois degrés », quasiment dans les mêmes termes que ceux employés par l’article 111-1 du Code pénal qui prévoit que « Les infractions pénales sont classées, suivant leur gravite, en crimes, délits et contraventions ». Il faut surtout noter que les fautes de premier et de second degré correspondent toutes à des infractions pénales, même si les éléments constitutifs n’en sont pas toujours identiques. Il en va de même de quelques fautes de troisième degré. Malgré cette apparence, qui a indéniablement constitué un important progrès en 1996, de, nombreuses lacunes demeurent qui doivent à présent être corrigées. 2. Lacunes et violations du principe Le principe de légalité n’est pas entièrement observé en droit disciplinaire, tantôt parce que des lacunes sont apparues, tantôt parce que la proximité avec le droit pénal suscite des questions sans réponse claire, tantôt encore parce que les réformateurs ou la jurisprudence n’ont pas hésité à le violer. a) Lacunes. Manquent certains outils techniques Au titre des lacunes, il faut signaler que la logique pénale étant partout présente, non seulement dans les mécanismes juridiques, mais encore dans les situations litigieuses (rappelons que la plupart des fautes disciplinaires correspondent à des fautes pénales), des difficultés résolues en droit pénal par des outils techniques bien connus se posent également sans que ces outils soient disponibles. Il en va ainsi par exemple (d’autres questions ne seront pas traitées ici) de : La complicité Les causes d’irresponsabilité. b) Interrogations nées de la proximité du droit disciplinaire avec le droit pénal Plus globalement la proximité des qualifications pénales avec un très grand nombre de qualifications disciplinaires soulève des questions complexes. Quelle attitude adopter lorsque la notion utilisée en droit disciplinaire est la même, qu’en pénal, et n’a pas été définie ? Convient-il de se tourner vers la définition pénale ? La question se pose pour de nombreuses qualifications et notamment pour l’évasion, le vol, les atteintes frauduleuses à la propriété d’autrui. La question est traitée de manière paradoxale par les juridictions administratives. D’un côté, elles énoncent de manière constante depuis 1996, que les procédures administratives sont indépendantes des procédures pénales (ce qui traduit une confusion entre procédure et fond… [2] ) ; de l’autre, il leur arrive d’aller chercher en droit pénal, le support d’une qualification disciplinaire. Ainsi dans une affaire Yven, le tribunal administratif de Nantes (13 dec. 2002, req., n° 0203580, inédit) a-t-il été rechercher dans l’article 227-13 du Code pénal (détention d’images pornographiques d’un mineur) le fondement de la sanction disciplinaire infligée à ce détenu sur la base de l’article D 249-3-10° (fait pour un détenu… « de faire un usage abusif ou nuisible d’objets autorités par le règlement »). La proximité avec le pénal soulève une autre question : un élément moral est-il toujours nécessaire ? Faut-il donner à cette question une solution globale ou propre à chaque texte (sachant que la plupart ne permettent pas de trancher) ? Le droit pénal, qui pose qu’il faut un élément moral, sauf texte contraire est-il applicable ? Faut-il adopter s a définition de l’élément intentionnel ? Faut-il distinguer entre les fautes de premier et deuxième degré, d’une part, et les fautes de troisième degré ? Faut-il distinguer entre les fautes disciplinaires qui sont aussi de nature pénale et celles qui ne le sont pas ? Une question essentielle se pose encore : en matière pénale, le principe de légalité contraint le juge répressif à interpréter strictement les qualifications pénales. Les juridictions administratives ne pratiquent pas cette technique et peuvent aller jusqu’à admettre l’interprétation par analogie, formellement prohibée en droit pénall. Ainsi dans l’affaire Yven précitée. Ainsi encore dans une affaire Sallès, 12 mars 2002 (D. 2003, chron., p. 922, note M. Herzog-Evans), un fait non prévu par le CPP a-t-il pu être retenu en recourant à l’analogie : communication irrégulière de l’article D 249-3-9° s’agissant du fait pour un détenu de profiter de la possibilité de téléphoner pour, se faisant passer par un avocat, obtenir d’une direction régionale des renseignements qui n’auraient pas du lui être communiqués. Il conviendrait sans doute de rédiger une disposition en droit disciplinaire qui poserait le principe de l’interprétation stricte. Une longue liste de texte ne respectent pas un autre aspect du principe de légalité : la clarté des textes. c) Textes conçus de manière floue, ou procédant par renvoi ou adaptation Certains textes posent de redoutables problèmes d’interprétation, en raison de leur rédaction floue Textes flous posant des difficultés d’interprétation - D 249-1-2° vise « le fait de participer à toute action collective de nature à compromettre la sécurité de l’établissement » alors que D 249-2-2° vise « le fait de participer à toute action collective de nature à compromettre l’ordre de l’établissement ». Comment distinguer les deux lorsqu’on sait que ordre et sécurité sont synonymes en détention ? Dans le même registre, D 249-1-7° vise le fait « de causer délibérément de graves dommages aux locaux ou au matériel affecté à l’établissement » tandis que D 249-2-4° vise le fait de « causer délibérément un dommage aux locaux ou au matériel affecté à l’établissement ». Comment distinguer ce qui est grave de ce qui ne l’est pas ? Textes procédant par renvoi - articles D 249-2-9° : « détenir des objets ou substances non autorisés par les règlements ou de se livrer à leur trafic » Le problème que soulèvent ces renvois est que : S’il est admissible que la détermination des horaires de parloir ou des promenades varie d’un établissement pénitentiaire à un autre, en revanche, il est ahurissant que le régime disciplinaire varie, et spécialement la détermination des comportements jugés fautifs, du fait des nombreuses qualifications qui comportent des renvois aux règlements et instructions de service. Il est à noter que ce sont justement les articles D 249-3-5° (4973 procédures en 2000) et D 249-3-4° (3766 procédures en 2000) [3], qui sont le plus fréquemment sanctionnés parmi les fautes de troisième degré. Textes à la fois flous et procédant par renvoi L’article D 249-3-10° du Code de procédure pénale réprime le fait de « faire un usage abusif ou nuisible d’objets autorisés par le règlement intérieur. ». Textes prônant d’adapter les qualifications ! L’absurde est atteint et la violation du principe de légalité abyssale lorsque le Code de procédure pénale vient rien de moins qu’enjoindre les commissions de discipline à adapter des qualifications disciplinaires afin de les rendre applicables ! L’article D 249-4 du CPP énonce ainsi que les qualifications disciplinaires peuvent être commises en dehors d’un établissement pénitentiaire (ce qui suppose que le détenu soit en cours d’exécution d’un aménagement de peine. Noter que ceci ne peut concerner que les situations où il est encore sous écrou, ce qui exclut la libération conditionnelle). C) L’absence de respect du principe de légalité en matière quasi disciplinaire Ce n’est un secret pour personne et le Conseil d’Etat la récemment lui-même admis à propos de l’isolement [4], l’administration pénitentiaire utilise d’autres sanctions que les sanctions officiellement disciplinaires. Ces sanctions posent problème à plusieurs égards - elles ne sont pas reconnues comme sanctions par les textes (v. notamment et expressément, l’article D 283-2) Les violations du principe de légalité sont ici si basiques, que l’urgence est considérable. Quelques mots sur les questions procédurales* Martine Herzog-Evans Les questions procédurales sont à la fois : Pour résumer il est possible de dire que sous réserve de quelques questions spécifiques (surtout absence de partie poursuivante, régime flou quant à la citation de témoins, vide juridique quant aux expertises, temps pour la préparation de la défense soumis à un flou juridique depuis l’abrogation de la circulaire du 30 octobre 2000), et d’un débat éventuel à soulever quant à la composition de la commission de discipline, le droit disciplinaire a fait de considérables progrès depuis l’entrée en vigueur de la loi du 12 avril 2000 et depuis le décret du 25 juillet 2002 relatif au mandataire ainsi que la circulaire AP du 9 mai 2003 (NOR JUSE03 400 55C) La difficulté réelle concerne aujourd’hui le domaine quasi disciplinaire. Toutefois, elle prétend réduire le domaine d’application de la loi du 12 avril 2000 et exclut notamment les sanctions les plus coercitives comme l’isolement et le changement d’affectation imposé, les sanctions de parloir avec dispositif de séparation de l’article D 405 du CPP, les confiscations sur la part disponible de l’article D 332 alinéa 1er, et les sanctions de confiscation de l’article D 323 [5]. Il faut à cet égard noter que, pour l’isolement, la circulaire a été démentie par l’arrêt du Conseil d’Etat du 30 juillet 2003 précité. A côté des exclusions, il faut aussi citer d’autres points pour lesquelles la protection procédurale est encore minime, même dans le domaine d’application de la loi du 12 avril 2000 - absence d’audience pour réaliser le débat contradictoire, pour les sanctions quasi disciplinaires, la circulaire du 9 mai 2003 organisant simplement un entretien informel (il est vrai dans le respect de la lettre de la loi du 12 avril 2000) [1] B.O.M.J. 1996, n° 62, p. 120 [2] V. les chroniques J.-P. Céré, M. Herzog-Evans, et E. Péchillon au Recueil Dallloz, 1999, p. 509 ; 2001, p. 562 ; 2002, p. 110 ; 2003, p. 919 [3] Rapport de l’administration pénitentiaire pour 2000, La documentation française, 2002, p. 222 [4] C.E. 30 juill. 2003, D. 2003, jurisp., p. 2331, note M. Herzog-Evans [5] Parmi les sanctions qu’elle intègre au contraire se trouvent notamment la suspension ou retrait d’un permis de visite, la mise à pied ou déclassement d’un emploi hors le champ disciplinaire (D 99 CPP) et le versement au Trésor des sommes trouvées irrégulièrement en possession des détenus (art. D 332, alinéa 3 CPP) |