Publié le mercredi 7 septembre 2016 | https://banpublic.org/encellulement-individuel-faire-de/ A l’occasion de la réflexion pour un "dernier" moratoire sur l’encellulement individuel, Dominique Raimbourg et son équipe ont rendu un rapport contenant pas moins de 24 préconisations, mais que contient-il exactement ? "Il faut éviter de reproduire les mêmes erreurs du passé : voter des lois, croire que ce vote suffit à changer le réel et se contenter ensuite d’une application très molle de la loi." Un peu d’Histoire :Le principe d’un numérus clausus appliqué dans les Établissements pour Peine date de 1976. Encellulement individuel : Principe inscrit dans la loi depuis 1875 (Loi Bérenger du 5 juin 1875). En 1945, une commission de réforme des institutions pénitentiaires énonce 14 principes parmi lesquels le principe de l’encellulement individuel pour les personnes placées en emprisonnement préventif, et pour les condamnés à une peine d’un an maximum. Le Principe est inscrit dans le code de procédure pénale de 1958. Repoussé à trois reprises ces quatorze dernières années : L’Avis du CGLPL du 24 mars 2014 préconise une application par étapes. Comment en est-on arrivé jusque-là :Jusqu’en juin 2006, la surpopulation était gérée par l’adoption, chaque année d’un décret de grâce. 6 000 personnes étaient ainsi libérées chaque été. Cette pratique a cessé à l’élection présidentielle de Nicolas Sarkozy en 2007, étant précisé que la réforme constitutionnelle de 2008 est venue retirer au Président de la République le droit de prendre des décrets de grâce collective. Aucun autre mécanisme satisfaisant n’a été mis en place depuis. Conséquences de la surpopulation :
Atteinte à la dignité, mauvaises conditions de détention, atteinte à l’efficacité de la prison, racket et trafics divers facilités, violences, renforcement de la loi du plus fort en détention et abandon des détenus les plus fragiles. Le nombre de personnes détenues a presque doublé en 30 ans : 37 000 personnes en 1980, 67 000 en 2014. Difficultés liée à la fois à la surpopulation carcérale et à l’architecture : Sur les 58 054 places répertoriées au 1er octobre 2014 : L’administration pénitentiaire n’est pas seule responsable :Elle est tributaire du flux de détenus adressé par la justice, qu’elle ne peut ni refuser, ni réguler. « La surpopulation est ainsi un symptôme du dysfonctionnement de la pénitentiaire seule, mais de la chaîne pénale dans son ensemble. » L’Utilisation trop limitée des QPA/QSL/aménagements de peine :Au 1er Octobre 2014, MA = densité carcérale globale de 131,5% à l’échelle de toute la France Mode de calcul :La circulaire de l’administration pénitentiaire du 17 mars 1988 fixe le mode de calcul de la capacité d’hébergement des établissements pénitentiaires. Calculée par rapport à la surface au plancher -> jusqu’à 11m² = 1 seule place. Taux d’occupation = Nombre de personnes hébergées /capacité opérationnelle de l’établissement. / !\ Un taux d’occupation inférieur à 100% ne permet pas de conclure au respect de l’encellulement individuel ! Exemple avec la Maison d’Arrêt d’Epinal qui dispose de 140 cellules réparties comme suit : L’absence de moyens : un faux prétexte : L’Etat perd plus d’argent en ce moment qu’elle ne perdrait à allouer de vrais moyens à la justice : La mise en cause de la responsabilité de l’Etat, à raison des conditions de détention, a connu une forte augmentation à compter de la fin des années 2000. Des solutions ?Prendre exemple sur l’Allemagne et les Pays-Bas qui en septembre 2012 avaient des densités carcérales inférieures à 100% (89 et 86%). Pourquoi ? L’Italie, souffrait comme nous de surpopulation, s’est fait condamnée par CEDH (Arrêt Torregiari) car 3 détenus partageaient une cellule de 9m². La Cour a donné un an à l’Italie pour instaurer une procédure de recours de droit interne permettant aux détenus de voir cesser ou réparer ce type d’atteinte fondamentale à leurs droits. (Puis nouveau sursis d’un an pour poursuivre les efforts entrepris : Favoriser le recours à la détention domiciliaire pour purger jusqu’à 18 mois de détention, possibilité pour le JAP de prévoir une mise à l’épreuve pour peines allant jusqu’à 4 ans d’emprisonnement, Remises de peines exceptionnelles) Ces mesures ont permis de diminuer le nombre de détenus de 69 000 en 2010 à 58 861 au 31 mai 2014. Les RPE : Règles pénitentiaires Européennes :Elles posent le principe de l’encellulement individuel. Aux termes de la règle 18.5, « chaque détenu doit en principe être logé pendant la nuit dans une cellule individuelle, sauf lorsqu’il est considéré comme préférable pour lui qu’il cohabite avec d’autres détenus » étant précisé qu’une « cellule doit être partagée uniquement si elle est adaptée à un usage collectif et doit être occupée par des détenus reconnus aptes à cohabiter ». Les RPE renvoient à la recommandation n°R (99) 22 concernant le surpeuplement des prisons et l’inflation carcérale, règle 1, qui traite de la surpopulation pénale et pose à cet égard un certain nombre de principes. La privation de liberté doit être considérée comme une « mesure de dernier recours » et l’extension du parc pénitentiaire comme une « mesure exceptionnelle ». Il est recommandé de prévoir un « ensemble approprié » de sanctions alternatives à l’emprisonnement s’effectuant dans la communauté et « d’inciter les procureurs et les juges à y recourir le plus largement possible » (règle 3). De plus, les États membres sont invités à « examiner l’opportunité de décriminaliser certains types de délits ou de les requalifier de façon à éviter qu’ils n’appellent des peines privatives de liberté » (règle 4). Les Etats sont également invités à mener « une analyse détaillée des principaux facteurs contribuant au phénomène de surpopulation afin de concevoir une action cohérente contre le surpeuplement des prisons et l’inflation carcérale. » (règle 5) Il est préconisé de fixer une capacité maximale pour les établissements pénitentiaires (règle 6). Concernant les peines, il est recommandé de recourir autant que possible à des « régimes de semi-liberté et des régimes ouverts » (règle 9) La Jurisprudence de la CEDH :Le principe de l’encellulement individuel ne se trouve pas en tant que tel dans la jurisprudence de la Cour Européenne mais elle l’inclut dans le contrôle des conditions de détention telles que protégées par l’article 3 de la Convention. Question de la surpopulation Arrêt 2013 : Condamnation de la France pour conditions de détention à la MA de Nancy-Charles III. -> Violation Article 3 (voir arrêt Nouméa) Cf CEDH Yengo c/ France n°50494/12 et Jodar et autres c/ France n°2871/11 La CEDH déduit du seul manque d’espace une atteinte au principe de la dignité humaine : Arrêt 6/07/2009 Sulejmanovic c/ Italie n°22635/03 Le seul critère de surpopulation suffit à emporter la condamnation de l’Etat (espèces où les détenus disposaient de -3m² chacun Elle confère un effet contraignant aux RPE auxquels elle se réfère dans les 4 arrêts pilotes rendus depuis 2009 : CEDH 22/10/2009 Norbert Sikorski c/ Pologne, Orchowski c/ Pologne n°17885/04, 10/01/2012 Ananyev et autres c/ Russie n°42525/07 et 60800/08 ; 8/01/2013 Torregiani c/ Italie n°43517/09, 46882/09, 55400/09, 57875/09, 61535/09, 35315/10 37818/10. Dans ces arrêts, elle invite l’Etat qui ne peut garantir des conditions de détention conformes aux exigences de l’article 3 « à réduire le nombre de personnes incarcérées, notamment en appliquant davantage des mesures punitives non privatives de liberté et en réduisant au minimum le recours à la détention provisoire » (Sikorski et Torregiani) Jurisprudence Française :Le juge administratif admet, depuis le jugement rendu par le TA de Rouen, le 27 mars 2008 que les conditions de détention contraires à la dignité des personnes incarcérées sont de nature à engager la responsabilité de l’administration pénitentiaire. Le JA a ainsi indiqué que « si l’administration pénitentiaire peut déroger au principe de l’encellulement individuel […] elle ne peut le faire que dans le respect de conditions satisfaisantes d’hygiène et de salubrité et le respect de la dignité inhérente à la personne humaine » (TA Rouen, 27 mars 2008, n°0602590) Une évolution du parc pénitentiaire à venir :Le 17 novembre 2014, le Garde des sceaux a annoncé que le financement d’un parc pénitentiaire de 63500 places était provisionné : 35800 places en MA et 27700 places en EP. + un nouveau programme de 3200 places également en cours. Nécessité d’une réflexion architecturale :Penser la prison comme un lieu de passage et de transition, rester en phase avec les évolutions de la société : faire des nécessités de demain les standards d’aujourd’hui (téléphonie en cellule, écran interactif en cellule)… 80% de places individuelles, le seuil à partir duquel l’exercice du droit à l’encellulement individuel apparaît possible Cf rapport d’information n°2388 de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République Ne pas oublier que l’’encellulement individuel est un droit et non une obligation :Enquête de l’OIP de 2006 : 16% des détenus interrogés ne souhaitaient pas être seuls en cellule. Un dernier moratoire :Les 3 étapes :- Recensements d’informations doivent être effectués en juin 2016 La Nécessité d’un double contrôle :- CGLPL L’Objectif : 80% de places individuelles mais attention, en + de la construction de cellules individuelles, cela implique donc de remplacer intégralement les 2271 cellules multiples d’aujourd’hui par des cellules simples pour les 6254 places qu’elles représentent. Ne jamais accepter l’inacceptable : Poursuivre l’expérimentation en cours dans la région PACA, visant à dégager des critères d’alerte en matière de surpopulation, établissement par établissement puisque le caractère insupportable de la surpopulation peut varier d’un établissement à un autre.
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