Publié le lundi 31 août 2009 | https://banpublic.org/suicides-et-morts-suspectes-en,12046/ Il y a quelques jours, Michèle Alliot-Marie, actuelle ministre de la Justice, a rendu public le rapport du docteur Louis Albrand relatif à « la prévention du suicide en milieu carcéral ». C’est dans un contexte polémique que ce rapport a été diffusé puisque le docteur Albrand lui-même conteste la version publiée. C’est pourquoi l’association Ban Public, association d’aide aux personnes incarcérées et à leurs proches, composée de personnes incarcérées ou ayant été incarcérées, de proches de personnes incarcérées, de militant(e)s… toutes et tous bénévoles, demande instamment à Monsieur Albrand de rendre publique la version originale de son rapport. Ban Public se fera un honneur de la mettre en ligne sur son site Internet. Suite à la publication de ce rapport, l’implication de la ministre Michèle Alliot-Marie témoigne d’une prise de conscience politique de l’urgence face à laquelle nous nous trouvons. Néanmoins, nous regrettons que lors de ses interventions publiques elle ait choisi de mettre l’accent sur des mesures ne tendant qu’à empêcher le suicide et non pas à endiguer les causes de ce passage à l’acte massif (remise aux prisonniers en crise suicidaire de draps et couvertures indéchirables, de pyjamas en papier et de matelas ininflammables). Ban Public souhaite que le débat ne s’arrête pas au « comment » et s’intéresse au « pourquoi » les personnes incarcérées décèdent en prison. Le rapport Albrand se conclut par 20 recommandations numérotées par ordre d’importance. Bien qu’un certain nombre de recommandations rejoignent nos propositions, les mesures mises en avant par la ministre de la Justice apparaissent secondaires et laissent dans l’ombre des questions primordiales (la restauration du lien social, le désengorgement des prisons...). Nous regrettons amèrement, qu’une fois de plus, les mesures visant directement les principaux concernés, c’est-à-dire les personnes incarcérées et leurs proches, soient reléguées au second plan, au profit d’autres mesures telles que la formation du personnel pénitentiaire qui, bien qu’intéressantes sur le papier, manquent de concrétisation pratique. Nous craignons que « la formation du personnel pénitentiaire » ne soit - à elle seule - une mesure totalement inefficace si elle ne s’accompagne pas d’une véritable refonte de la culture pénitentiaire et de moyens financiers ambitieux nécessaires à sa mise en place. Sur les recommandations Transparence Il est inadmissible que l’administration pénitentiaire opte pour la stratégie du silence face aux nombreux décès ayant lieu dans et hors ses murs, mais sous sa responsabilité. Le ministère ne saurait prétendre à une volonté de transparence sans prendre en compte, et distinguer, toute les formes de décès : suicide, mort suspecte et mort naturelle, y compris lorsqu’il s’agit de décès de personnes hospitalisées ou placées sous surveillance électronique. Contrairement au « danger de la médiatisation » (p49/410) dont s’émeut le rapport, dans sa version publiée par le ministère, nous appelons à un traitement médiatique accru des décès en prison qui suscite de vrais débats de fond sans se limiter aux cas de suicides, au lieu de cette effervescence éphémère et parfois outrancière à laquelle nous avons encore assisté ces derniers jours. Restaurer le lien social Le rapport s’attarde longuement sur l’évolution et l’accroissement des missions des commissions pluridisciplinaires de prévention du suicide et des commissions de suivi des actes suicidaires. Ban Public ne peut que se féliciter de la création de telles commissions, à condition qu’elles ne soient pas de la poudre aux yeux de ceux qui attendent de véritables changements. En revanche, nous prenons note avec satisfaction de la proposition n°6, visant à favoriser les échanges d’informations avec les familles et proches des personnes incarcérées, mesures pouvant être mises en place rapidement et à moindre coût. Nous tenons à mettre en avant la philosophie véhiculée par la proposition n°11 du rapport rappelant la nécessité de restaurer le lien social en prison, entre autres en instaurant un permis visite automatique dès la mise sous écrou de la personne incarcérée - qu’elle soit prévenue ou condamnée- et en permettant à tous un usage régulier du téléphone. Dans le même esprit, Ban Public approuve les initiatives saluées par le rapport pour leur efficacité comme celles du CRED (Croix Rouge Ecoute Détenus), dispositif de téléphonie d’urgence avec écoutants 24h/24 (p122/410). Néanmoins, nous regrettons qu’une fois de plus ces mesures à caractère social reposent sur une association (actuellement la Croix Rouge) et l’intervention exclusive de bénévoles, aussi formés soient-ils, preuve du désengagement de l’Etat sur cette question. De plus, les dispositifs comme l’installation des téléphones ou la mise en place de services d’écoute, sont pour l’instant mis en œuvre à titre expérimental. On nous a habitués depuis des décennies à des mesures expérimentales qui, même lorsqu’elles sont de bon sens et s’avèrent efficaces, restent à l’état de test (à l’instar des Unités Expérimentales de Vie Familiale). Nous exigeons la généralisation des mesures de bon sens et ayant prouvé leur efficacité. Service public Nous dénonçons une dilution considérable des fonds publics : il incombe à l’Etat de prendre directement en charge ces mesures, tout comme l’accès à la culture, à l’enseignement, et la prise en charge financière du transport et de l’hébergement des familles. Il est intolérable de laisser des pans entiers de la mission de service public de l’administration pénitentiaire entre les mains d’associations aux motivations parfois critiquables. Des mesures sociales au rabais ne peuvent produire une justice de qualité. Quartiers disciplinaires Moyens financiers et humains Ban Public regrette que le rapport n’insiste pas plus sur un constat évident et unanimement partagé par les professionnels œuvrant au sein de l’univers carcéral : le criant manque de moyens humains. Il faut accroître de manière significative le nombre de travailleurs sociaux et de personnels soignants en prison : Parmi les facteurs aggravants du risque suicidaire, la situation des personnes incarcérées atteintes de troubles psychiatriques est également soulignée. Ban Public partage ce constat tout en dénonçant que la création des UHSA (unités hospitalières spécialement aménagées), véritables hôpitaux-prisons, non seulement ne constitue pas une solution, mais aussi légitime l’incarcération de personnes relevant de l’hospitalisation d’office. Les autres causes de décès en prison Dans le rapport, seulement trois mots sont consacrés aux autres causes de décès en prison. Ce que le rapport dénomme pudiquement : « cas litigieux » (p120/410), nous appelons cela « morts suspectes », terme déjà édulcoré pour parler des infractions d’homicides volontaires, involontaires et de non assistance à personne en danger qui ont lieu en prison et dont les médias ne se font malheureusement pas encore assez l’écho (cf. : Une du Monde du 28 juillet 2009). Nous sommes à 17 décès suspects depuis le 1er janvier 2009. Mise en détention, surpopulation et nouvelles prisons : une responsabilité partagée La surpopulation carcérale est un problème récurrent mais la construction de nouvelles prisons ne peut constituer la réponse à ce scandale des prisons françaises. Il est temps que cesse l’enfermement à tout va de populations que la loi elle-même protège de l’incarcération : personnes en détention provisoire alors qu’elles devraient être en liberté au nom du principe de la présomption d’innocence, personnes souffrant de troubles psychiatriques ou en fin de vie, personnes devant faire l’objet de peines alternatives à l’incarcération ou d’aménagement de fin de peine… Ban Public appelle à la mobilisation des magistrats qui – compte tenu du rôle qui leur est assigné dans la société – sont les premiers responsables de cette surpopulation carcérale inepte. Tel que pensé par nos politiques, notre système juridique lui-même est schizophrène, qui, d’un côté, produit des textes protecteurs des droits et libertés et assure le même droit pour tous et, de l’autre, laisse un droit d’exception régner en prison alors que – au delà de la privation de liberté – seul le droit commun devrait s’appliquer. Ce qui se passe actuellement dans nos prisons françaises relève d’une responsabilité collective : celle d’une administration pénitentiaire toujours réticente à plus de transparence, celle de magistrats et avocats qui ne prennent pas leurs responsabilités et participent d’un système du tout répressif destructeur et inefficace, celle de ministères qui se désintéressent de la question carcérale alors qu’elle entre dans leurs prérogatives. Nous appelons de nos vœux la création d’une commission pluridisciplinaire interministérielle qui regrouperait les ministères de la Santé et des Sports, du Travail, des Relations sociales, de la Famille, de la Solidarité et de la Ville, de l’Education Nationale, de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, de la Culture et la Communication, de l’intérieur de l’Outre-mer et des Collectivités territoriales (sur la question du droit de vote), le secrétariat d’Etat du Logement et de l’Urbanisme… En conclusion Ban Public appelle de ses vœux le lancement d’un vaste débat national, véritablement réformateur. La prison est un sujet qui nous concerne tous par l’exclusion sociale qu’elle engendre, véhicule et reproduit. La situation actuelle des prisons françaises traduit un problème de société extrêmement préoccupant. La France se fait régulièrement condamner par la Cour européenne des Droits de l’Homme pour les conditions indignes de ses prisons et le manque de protection que l’Etat doit assurer aux personnes incarcérées. Le rythme de la mise en conformité des prisons françaises avec les exigences européennes posées par les Règles Pénitentiaires Européennes, demeure très lent. Ban Public
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