Prisonniers malades à en crever... bientôt !
On est venu jusqu’à nous consulter dans nos cellules, à travers un questionnaire sur nos conditions de détention de plusieurs pages, nous, les personnes détenues, les prisonniers, les bannis de la société. Une première en France, on nous demandait notre avis, nous n’allions donc pas louper cette occasion. Pour preuve, la participation des personnes détenues a été remarquable, puisque plus de 5.000 questionnaires ont été retournées.
Aujourd’hui, plusieurs mois sont passés, toujours aucunes nouvelles, absolument rien, tant sur le devenir de ce rapport que sur d’improbables améliorations de nos conditions de détention. Ne sommes-nous pas en droit de nous poser des questions ? N’a-t-on pas voulu nous faire miroiter, par cette consultation, l’idée que, cette fois, il y aurait des réponses concrètes à nos attentes ? Ne sommes-nous donc pas en droit de nous demander où a bien pu passer ce fichu rapport des Etats généraux de la condition pénitentiaire ? Où sont passées les questions sur le respect des Droits de l’Homme dans la prison, sur le contenu du temps passé en prison, sur les soins des personnes malades détenues et sur la préparation à la sortie de prison ? Combien de commissions se sont constituées, combien de rapports publiés dénonçant les conditions de détention nous faudra-t-il encore pour véritablement apporter des changements à ce que devrait être la vie derrière les barreaux d’une prison ? N’est-ce pas bientôt terminé le temps des constatations et des bonnes intentions ? N’y en a-t-il pas assez eu ! Et maintenant, à quand les actes concrets ?
Le rapport des Etats généraux de la condition pénitentiaire avait pourtant bien été remis à tous les candidats lors de la campagne présidentielle et tous avaient promis d’en tenir compte si elles ou ils étaient élu(e)s. Le Président de la République, élu en mai, soit dit en passant qui avait été le seul à ne pas trop s’avancer lors de la campagne présidentielle, a demandé expressément à sa Ministre de la Justice, Madame Rachida Dati, une réforme de la carte judiciaire, mais rien en ce qui concerne la question des conditions de détention des personnes détenues. Notre situation ne concernerait-elle pas la question de la réforme du système judiciaire dans sa globalité ? La seule, l’unique réponse attendue, la promesse d’une politique de plus en plus répressive ! Une réponse qui nous fait entrevoir des jours difficiles et qui aurait tendance à nous faire penser que nous ne ferons bientôt plus partie de ces citoyens français ayant des droits et des devoirs. « Nous devons penser aux victimes » clament nos gouvernants (sous-entendus ?), les prisonniers peuvent attendre. Suppression des remises de peine, des permissions de sortie et des conditionnelles pour les criminels et les délinquants sexuels le plus dangereux, pire, à la fin de leur peine, ils devront à nouveau être jugé sur leur dangerosité et, si tel était le cas, intégrer une autre prison, un hôpital psychiatrique, sans jamais savoir quand ils pourront en sortir. Est-ce bien légal tout cela ? On s’en fiche, « nous devons penser aux victimes », nous rétorque-t-on. Pourquoi être incarcéré une seconde fois dans un autre type d’établissement ? Le droit français n’autorise pas d’être jugé deux fois pour la même affaire, alors pourquoi cette exception en ce qui concerne les délinquants et criminels sexuels ? Mais ne nous y trompons pas, c’est pour tout le monde la même répression aveugle et inhumaine, les peines planchers sont là pour nous le montrer. Un philosophe (désolé, je ne me souviens plus de son nom, mais il est très facile à retrouver pour les connaisseurs d’Internet) a dit « une société se juge à l’état de ses prisons » [1], il ne croyait pas si bien dire.
Dernier scandale en date qui illustre bien nos conditions de détention, une prison, Fleury Mérogis (usine pénitentiaire) n’hésite même plus à bafouer les Droits de l’Homme les plus fondamentaux, sous prétexte qu’elle n’a plus de place dans ses murs et de prisons ultra-surchargées. Les nouvelles personnes incarcérées sont placées, sans aucun scrupule, dans les cellules des quartiers disciplinaires où, ni l’espace et la lumière recommandés selon les Droits de l’Homme Internationaux, ne sont respectés pour vivre dans el respect de la dignité des personnes. Jusqu’où les droits les plus fondamentaux seront-ils bafoués ? Allons-nous bientôt incarcérer dans les sous-sols de nos prisons ?
Une autre raison qui a de quoi humilier et faire rager, la santé de certaines personnes détenues. Etant gravement malade (je suis touché par le virus du VIH depuis au moins 25 ans et en phase Sida, c’est-à-dire malade, depuis au moins 10 ans, touché également par le virus de l’hépatite C, dont une fibrose du foie classée F3, et cardiaque), je dois me rendre à l’UCSA chaque jeudi matin pour prendre ma tension et passer un électrocardiogramme. Ce que j’y vois, des personnes gravement malades (pour certaines en fin de vie ou pas de loin de l’être si elles restent incarcérées), et ce que j’y entends, des personnes qui souffrent (en silence parce que peu de monde ne s’intéresse à leur souffrance), ne me donnent pas beaucoup d’espoir de pouvoir sortir un jour encore en bonne santé.
Je me souviens de cette discussion avec mon médecin sur la suspension de peine et la conditionnelle médicale. Je lui expliquais que j’espérais pouvoir en bénéficier quand je serai à la moitié de ma peine, avant d’être dans l’incapacité de reprendre un travail. Car pour moi, il est très important que je retrouve ma place dans la société, question d’honneur. La réponse de mon médecin m’a fait froid dans le dos et m’a très rapidement ramené à la réalité brutale des décisions de justice. « Il y a ici des gens dont l’espérance de vie n’est plus que de quelques mois, voire quelques années, en tous cas, très incertaines et on ne leur accorde ni suspension de peine, ni de conditionnelle médicale » me dit-il comme pour me prévenir de ne pas trop me bercer d’illusions.
Souvent, il m’arrive de croises ces personnes malades ou âgées (très âgées) dans la salle d’attente, dans les couloirs. Parfois (car la maladie, en prison, est souvent cause de rejet), on fait connaissance. Quand elles veulent bien parler de leur problème de santé, très souvent, c’est parce qu’elles ont tout simplement besoin de vider leur sac, devenu trop lourd au fil du temps incertain qui passe. Untel m’explique qu’il vit avec un seul poumon à cause d’un cancer, l’autre qu’il a du diabète et qu’il doit se rendre tous les jours à l’UCSA pour les contrôles et les injections d’insulines, encore un autre qu’il est épileptique ou cardiaque et qu’il ne vit qu’avec la hantise d’avoir une crise en cellule, d’être dans l’incapacité de pouvoir prévenir le personnel pénitentiaire. Vivre une maladie est déjà difficile en soi, mais la vivre en prison cela devient un véritable enfer. Toutes ces personnes incarcérées auraient besoin d’une condition d’existence bien meilleure que celle désastreuse que l’on leur impose aujourd’hui (et non pas simplement de meilleures conditions de détention, car ces personnes malades n’ont pas leurs places dans ces prisons insalubres) pour garder l’espoir de gagner quelques années de vie en plus... en liberté. Mais la peur de la récidive plane comme un ange noir au-dessus de notre société, faisant oublier à celle-ci toute son humanité, pas même une once de compassion. Comment pouvons-nous laisser des personnes gravement malades, celles « dont le pronostic vital est engagé » pour reprendre la formule consacrée, pour celles et ceux qui ne comprennent pas ce que veut dire « dont le pronostic vital est engagé », cela veut dire que la mort est certaine à plus ou moins long terme.
Mes textes n’ont pas la prétention d’avoir un style journalistique, simplement, je souhaite rapporter avec mes mots (et mes maux) ce que je vois en prison concernant les personnes malades et/ou âgées. Notre société se fiche de beaucoup de choses de nos jours. Pour preuve, un homme peut crever de froid en hiver, en pleine rue, sans que personne ne s’en soit aperçu. On peut dire « ce n’est pas mon problème », jusqu’au jour où l’on est soi-même concerné.
Diede, détenu à la maison d’arrêt de la Santé
Lettre de Diede : Une voix derrière le mur... de prison