15469 articles - 12265 brèves

Sens de la prison, sens de la peine. Abolition(s) ?

Documents associés :

Le sens de la peine

Type : PDF

Taille : 5.8 Mio

Date : 19-05-2025

Fiche de communication

Type : PDF

Taille : 1.1 Mio

Date : 19-05-2025

Le sens de la peine

Publication originale : 13 septembre 2023

Quatre ans après avoir dressé ce constat, le CESE a jugé nécessaire de se saisir de nouveau du sujet, sous un prisme différent : on ne peut en effet pas faire l’économie d’un débat sur ce que la société́, mais aussi les victimes, les prévenus attendent de la peine. 

Dans ce nouvel avis, le CESE s’appuie sur une analyse approfondie des parcours de peine, et interroge la façon dont ont été conduites les politiques pénales jusqu’à présent. Enfin, il
identifie des priorités dans la conception et l’application des peines pour leur donner du sens. La prison ne doit plus être la peine de référence.

Le CESE présente 19 préconisations pour « donner à la justice les moyens d’agir vite et mieux, tout en lui permettant de prendre, selon la situation, le temps d’une évaluation pour une peine plus adaptée, mieux comprise, plus efficace pour réduire la récidive et favoriser la réinsertion »

En savoir plus
Texte de l'article :
  Sommaire  

 Synthèse

La prison « désocialise, déresponsabilise, crée de multiples ruptures ou exacerbe celles qui existent déjà ». Tel était le constat que faisait le CESE dans un avis de 2019, avant d’identifier huit priorités pour lever les obstacles à la réinsertion des détenus. Quatre ans après, les évolutions ne sont pas favorables et la surpopulation carcérale bat régulièrement de nouveaux records. Cette évolution est d’autant plus décevante que l’objectif de renforcer la place donnée aux alternatives à la détention est réaffirmé dans les lois successives. Le CESE a donc jugé nécessaire de se saisir de nouveau du sujet. Mais il le fait avec une perspective différente : la justice est au croisement d’attentes diverses et contradictoires, en fonction des parties prenantes, et on ne peut faire l’économie d’un débat plus approfondi sur ce que la société attend de la peine, qu’il s’agisse des victimes, des personnes condamnées ou de la société en général. 

La première partie de l’avis confirme l’aggravation du constat déjà dressé en 2019 : une surreprésentation en détention d’hommes jeunes, en situation précaire, en mauvaise santé. Mais le CESE centre cette fois son analyse sur les « parcours de peine », ce qui le conduit à pointer plusieurs réalités : 

→ la chaîne pénale reproduit les inégalités et donne peu de chance à la réinsertion. La précarité augmente le risque d’incarcération. Les comportements addictifs sont particulièrement fréquents.

Les fragilités à l’entrée en détention, notamment en santé mentale, sont aggravées par les ruptures de soins et par les conditions de vie dégradées en prison. A la sortie de détention, les vulnérabilités sont encore plus fortes, ce qui renforce les risques de récidive ; 

→ si le budget du ministère de la justice augmente, l’administration pénitentiaire reste le premier poste de dépenses. Et les sommes considérables investies dans la construction de nouvelles places de prison sont sans commune mesure avec les budgets bien trop faibles consacrés à la prévention de la délinquance, à la réinsertion, aux alternatives à la détention et aux aménagements de peine ; 

→ la contradiction est forte entre, d’un côté, la place donnée aux alternatives à la détention dans les lois et dans les discours et, de l’autre, la création permanente de nouvelles infractions sanctionnées par des peines de prisons et la centralité persistante de la détention dans les décisions des tribunaux correctionnels. La détention reste, de facto, le choix « le moins risqué » et la façon la plus immédiate de répondre à l’attente de réprobation sociale. Le recours au travail d’intérêt général et au placement extérieur n’atteint pas les niveaux escomptés. Le seul changement notable concerne la surveillance électronique, en forte hausse. Reste que, sans accompagnement, elle n’a guère d’intérêt du point de vue de la réinsertion.

LES PRÉCONISATIONS DU CESE

Elles partent d’un préalable : il faut mettre fin à la « surenchère pénale », évaluer les effets économiques et sociaux des politiques pénales conduites jusqu’à présent, réorienter les budgets de la justice vers le fonctionnement des juridictions et mettre de de nouveaux moyens à la disposition des magistrates et magistrats. 

Au-delà, elles s‘organisent autour de trois priorités : 

→ la compréhension de la peine par les victimes, par les personnes condamnées, par la société. Mal connus, la justice pénale et certains de ses principes (la présomption d’innocence, l’irresponsabilité pénale en cas de troubles mentaux, la prescription…) sont à l’origine de malentendus. Les victimes doivent être mieux accompagnées, le plus en amont possible et à chaque étape ; 

→ la dignité de la peine, à travers notamment une limitation des recours à la détention provisoire, la création d’une peine de probation autonome (déconnectée de la prison), l’organisation d’une régulation carcérale « à la sortie ». Une telle régulation n’empêche nullement de nouvelles condamnations : elle implique qu’au-delà d’un certain seuil d’occupation des établissements, une nouvelle entrée en prison impose l’identification, par les autorités judiciaires et les services pénitentiaires et de la réinsertion, de solutions pour libérer une place dans les établissements ; 

→ l’individualisation de la peine : il s’agit de donner à la justice les moyens de décider de la peine la plus efficace pour lutter contre la récidive et permettre la réinsertion, en ayant accès à des informations concrètes, précises et plus complètes sur la situation de la personne.


 Préconisations

Un préalable : s’engager résolument dans une programmation effective d’évaluation des politiques conduites jusqu’alors et réorienter les moyens

Préconisation #1

Évaluer les effets économiques et sociaux des politiques pénales et faire réaliser, par les laboratoires universitaires spécialisés dans l’évaluation des politiques publiques, un bilan systématique des réformes de la procédure, de la création d’incriminations nouvelles ou de l’alourdissement du quantum de peine.

Préconisation #2

Faire réaliser régulièrement, par le Parlement, une revue générale des délits et des peines, pour analyser leur utilité et leur réalité, réduire le nombre de délits sanctionnés par de courtes peines de prison et assurer une logique d’ensemble.

Préconisation #3

Pour que le choix de la peine ne soit pas soumis à des considérations de temps ou de moyens (humains ou financiers), renforcer le budget de la justice et le réorienter vers deux priorités : le fonctionnement des juridictions et une attention plus grande à la situation des personnes mises en cause et des victimes.

La peine n’a pas de sens quand elle n’est pas comprise par les personnes condamnées, par les victimes, par la société

Préconisation #4

Systématiser l’enseignement dès l’école des grands principes de la justice et de son organisation dans une société démocratique, en développant par exemple les visites de tribunaux et les rencontres avec des personnes qui font et qui rendent la justice.

Préconisation #5

Mieux accompagner les victimes en agissant dans deux directions : 

- parvenir à une motivation complète et circonstanciée des décisions ; 

- donner les moyens à France Victimes de remplir sa mission de service public au service des victimes, de les informer, les accompagner et les soutenir, le plus en amont possible et à chaque étape, et de s’assurer que les implications de la peine prononcée ou de la décision prise ont été bien comprises.

Préconisation #6

Permettre systématiquement aux victimes, notamment de violences intrafamiliales, d’entrer dans un processus d’accompagnement global articulant les décisions pénales et les mesures civiles. Pour cela, généraliser le « pack nouveau départ » et y inclure toutes les dimensions de l’accompagnement et les exigences de la sauvegarde de l’intérêt supérieur de l’enfant.

Préconisation #7

Elargir les possibilités de recours à la conciliation et à la médiation, tout en veillant à ne pas en faire des choix par
défaut liés au manque de moyens des juridictions. Renforcer les moyens de la réparation et de la justice restaurative.

Préconisation #8

Accélérer les procédures d’indemnisation des victimes et encourager le prononcé de peines complémentaires, de saisies confiscatoires de biens, y compris à l’étranger

La peine n’a pas de sens quand ses conditions d’exécution ne sont pas dignes

Préconisation #9

Définir une politique globale de réduction de la détention provisoire en plusieurs axes : 

→ une contraventionnalisation de certains délits ; 

→ une limitation de sa durée, dans le respect de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme ; 

→ une motivation renforcée, en particulier sur ce qui rendrait les autres solutions moins efficaces.

Préconisation #10

Recourir plus largement à l’accompagnement socio-éducatif dans le cadre du contrôle judiciaire, y compris en cas de surveillance électronique.

Préconisation #11

Adopter dans le ressort de chaque tribunal judiciaire et dans le cadre d’un processus coordonné par les cours d’appel, une convention associant les autorités judiciaires, pénitentiaires, d’insertion et de probation prévoyant, à partir d’un certain seuil d’occupation, l’identification de solutions de sortie (recensement des personnes susceptibles de faire l’objet d’une libération anticipée : libération sous contrainte, réductions supplémentaires de peine, conversion du reliquat de
peine …)

Préconisation #12

Instaurer une nouvelle peine de probation autonome, s’inspirant de la contrainte pénale, mais sans lien avec l’emprisonnement, soumettant la personne condamnée à des obligations adaptées à sa situation et en lien avec le dommage qu’elle a causé.

La peine n’a pas de sens quand elle n’est ni individualisée, ni adaptée à la situation de la personne et à son évolution

Préconisation #13

Généraliser et consolider la prise en charge socio-éducative et le suivi psychologique des auteurs de violences conjugales en :
→ définissant plus précisément les objectifs attendus des programmes adressés aux auteurs, en évaluant leur efficacité, leur pertinence et les effets attendus sur eux ;
→ renforçant et pérennisant les moyens alloués aux structures qui les mettent en œuvre.

Préconisation #14

Encadrer davantage la procédure et le champ de la comparution immédiate et ne pas en faire la solution au manque de moyens et de temps.

Préconisation #15

Afin de répondre à l’objectif d’adapter la sanction, il faut évaluer la personnalité du prévenu. A ce titre, le CESE encourage, conformément aux délais définis par la loi, soit l’ajournement du prononcé de la peine, soit l’élargissement aux majeurs de la césure du procès entre le prononcé de la culpabilité et celui de la peine.

Préconisation #16

Réunir davantage d’informations sur la personne avant le prononcé de la peine : systématiser les enquêtes de personnalité, qui doivent être plus fournies pour apporter tous les éléments, concrets et vérifiés, de nature à éclairer le juge sur la peine la plus adaptée à sa situation.

Préconisation #17

Assurer à chaque personne placée sous main de justice le
droit de construire, avec les services pénitentiaires d’insertion et de probation, un projet solide d’alternative, incluant en particulier des éléments sur :
→ la solution d’hébergement : des dispositifs comme « Un chez soi d’abord » permettant une réponse « sur mesure » préparée en amont ;
→ les soins : accès aux soins et leur continuité (pas de rupture dans l’accès à l’assurance maladie) ;
→ des droits essentiels effectifs : des papiers d’identité, un compte bancaire ;
→ l’inscription dans un projet de formation et/ou d’insertion professionnelle.

Préconisation #18

Construire, avec les conseils régionaux et les partenaires sociaux, les formations correspondant aux
besoins du territoire.

Préconisation #19

Assurer une continuité forte entre la formation et ou l’emploi en détention et la possibilité d’embauche en semi-liberté ou à la sortie.