Conclusion
L’effectivité des voies de recours contre l’indignité des conditions de détention, qui demeure largement imparfaite, ne pourra être renforcée qu’à travers la mobilisation de l’ensemble des leviers existants, qu’ils soient textuels, procéduraux, humains ou encore matériels.
Devant le juge administratif, des stratégies et outils contentieux innovants pourraient être mis en place et actionnés afin de maximiser l’effet utile des procédures existantes, qui sont déjà nombreuses et qui, prises dans leur ensemble, sont susceptibles d’apporter, en principe, une réponse juridictionnelle satisfaisante à la question de l’indignité des conditions de détention.
Devant le juge judiciaire, les freins textuels et procéduraux concernant le recours prévu à l’article 803-8 du code de procédure pénale pourraient progressivement être levés à travers une évolution des textes applicables, couplée à l’appropriation croissante et partagée de cette nouvelle voie de recours tant par les justiciables, représentés ou non par leur conseil que par les magistrats. Cette nouvelle voie de recours n’en
est, en tout état de cause, qu’à ses prémices. Il conviendrait donc de conduire une évaluation académique indépendante de ce dispositif dans quelques années, à moyen terme, lorsqu’un nombre plus significatif de décisions aura été recensé.
Devant le juge administratif et judiciaire, enfin, l’émergence d’un nouveau contentieux partagé de l’indignité des conditions de détention nécessite d’envisager des modalités de coordination voire d’articulation des compétences de l’un et l’autre ordre de juridiction, tout en renforçant, dans le même temps, les canaux de dialogue, afin de favoriser l’émergence d’une culture commune de ce contentieux.
Il n’en demeure pas moins que le juge, quel qu’il soit, ne peut apporter, seul, une réponse à la question de l’indignité des conditions de détention. Il s’agit en effet d’un enjeu systémique devant appeler à une réponse globale de la part des pouvoirs publics, par l’intermédiaire d’une politique publique ambitieuse. À ce titre, outre la conduite nécessaire d’une réflexion sur le sens et l’utilité de la peine privative de liberté comme réponse à la lutte contre la criminalité et la délinquance, l’introduction, dans la loi, d’un dispositif contraignant de régulation carcérale, géré localement par tous les acteurs de la chaîne pénale sous la responsabilité de
l’autorité judiciaire, recommandation pressante bien qu’ancienne du CGLPL1, permettrait de maîtriser la surpopulation carcérale en résorbant le taux d’occupation des maisons d’arrêt et en respectant le
droit à l’encellulement individuel. Elle constituerait une
première réponse d’ampleur au problème posé, et contribuerait à redonner de la dignité à la peine2
1 Recommandation réitérée notamment dans CGLPL, Avis du 25 juillet 2023 relatif à la surpopulation et à la régulation carcérales, publié au Journal officiel du 14 septembre 2023.
2 Conseil économique, social et environnemental, Le sens de la peine, 13 septembre 2023.
Synthèse des recommandations
Architecture du « recours 803-8 » du code de procédure pénale
Recommandation 1
Supprimer la possibilité d’un transfèrement administratif au stade de la deuxième phase du recours prévu à l’article 803-8 du code de procédure pénale ou, a minima, ne permettre un tel transfèrement qu’en cas d’impossibilité démontrée de remédier in situ à l’indignité des conditions de détention constatée par le juge.
Recommandation 2
Prévoir la possibilité de réductions de peine exceptionnelles supplémentaires pour les personnes détenues ne pouvant faire l’objet d’un transfèrement judiciaire et n’étant pas éligibles à un aménagement de peine.
Recommandation 3
Insérer le délai d’examen de la recevabilité de la requête dans un cadre plus contraint, tout en desserrant le délai d’examen du bien-fondé, en conservant le délai global de vingt jours.
Efficacité de l’exécution des injonctions
Recommandation 4
Créer un mécanisme d’astreinte obligatoire avec liquidation automatique en matière de contentieux des conditions indignes de détention ou prévoir une audience de suivi devant le juge administratif après le prononcé d’injonctions.
Recommandation 5
Mettre en place un « fonds de travaux » ayant vocation à financer les travaux de faible envergure nécessaires à la mise en œuvre des injonctions prononcées par le juge administratif.
Coordination et articulation des recours présentés devant le juge administratif et judiciaire
Recommandation 6
Mettre en place un mécanisme d’information réciproque des recours dignité exercés devant le juge judiciaire et administratif contre les conditions indignes de détention et des décisions rendues.
Recommandation 7
Prévoir un dispositif d’articulation des recours contre les conditions indignes de détention présentés devant le juge judiciaire et administratif (recours préalable obligatoire, question préjudicielle, « droit de suite », pouvoir d’injonction du juge judiciaire, juridiction mixte spécialisée).
Informations et outils pratiques à destination des personnes détenues, magistrats et avocats
Recommandation 8
Offrir aux personnes détenues la possibilité de bénéficier d’un crédit d’heures annuel leur permettant de bénéficier de conseils et de l’appui juridique d’un avocat commis d’office en dehors de toute procédure juridictionnelle ou non juridictionnelle.
Recommandation 9
Assurer la déclinaison locale de la convention de partenariat entre la direction de l’administration pénitentiaire et le Conseil national des barreaux pour renforcer la place de l’avocat en détention, notamment dans le cadre des recours contre les conditions indignes de détention.
Recommandation 10
Mettre en place une information plus systématique des personnes détenues sur les recours existants contre les conditions indignes de détention (affichage en détention, livret d’accueil, formulaires disponibles au greffe pénitentiaire, guides pratiques et requêtes type via les points d’accès au droit, charte des droits fondamentaux de la personne détenue).
Collaboration entre acteurs de la « chaîne pénitentiaire »
Recommandation 11
Assurer une formation commune aux juges judiciaires et administratifs sur les recours contre les conditions indignes de détention, en lien avec l’École nationale de la magistrature et le Centre de formation de la juridiction administrative et systématiser les visites d’établissements pénitentiaires.
Recommandation 12
Mobiliser les canaux d’échanges informels au sein de la juridiction judiciaire et l’Observatoire des litiges judiciaires pour favoriser le partage de pratiques sur les recours introduits sur le fondement de l’article 803-8 du code de procédure pénale, dans l’attente d’une unification jurisprudentielle à venir par la chambre criminelle de la Cour de cassation.
Recommandation 13
Mobiliser les instances de dialogue existantes (conseil d’évaluation des établissements pénitentiaires et conférence régionale portant sur les aménagements de peines et les alternatives à l’incarcération) pour favoriser les échanges entre l’ensemble des acteurs de la « chaîne pénitentiaire » (administration pénitentiaire, magistrats du siège et du parquet, juge administratif ).
Disponibilité de données statistiques
Recommandation 14
Effectuer, par l’intermédiaire du parquet de chaque juridiction du fond (tribunaux judiciaires, chambres de l’instruction, chambres de l’application des peines), un recensement trimestriel des décisions rendues sur le fondement de l’article 803-8 du code de procédure pénale, sous le pilotage de la direction des affaires criminelles et des grâces (DACG) du ministère de la justice, en lien avec la direction de l’administration pénitentiaire (DAP), dans l’attente d’outils de suivi en continu